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L'avenir des Canadiens français

Ce document, propriété de Madame Jannice Saint-Pierre Westfall, arrière-petite-fille d'Henri Césaire Saint-Pierre, a été transcrit par Jacques Beaulieu, arrière-petit-fils du même personnage.


L'avenir des Canadiens français vu
par un avocat montréalais en 1901

À la suite de la discussion soulevée dans certains coins du pays par le président de la Législature d'Ontario, l'hon. M. Clark, qui s'est déclaré favorable à l'annexion du Canada aux États-Unis, nos lecteurs liront avec intérêt l'article suivant qui parut le 4 février 1901 dans le Monde illustré de Montréal sous la signature de H. C. Saint-Pierre, C.R. Ce M. Saint-Pierre, qui par la suite fut élevé à la magistrature, était le père de Me Guillaume Saint-Pierre, l'actuel chef du contentieux de la Ville de Montréal.

L'article du Monde illustré du 4 février 1901 contient plusieurs vues vraiment prophétiques sur l'avenir et les sentiments futurs des Canadiens français.

"Qu'adviendra-t-il de la race Canadienne Française en ce XXe sièce?

"Restera-t-elle unie, forte, homogène... ou se fondra-t-elle dans le pan-américanisme?"

Tel est, Monsieur le Rédacteur, le problème dont vous me demandez la solution.

Je ne suis ni prophète ni fils de prophète, cependant je vais essayer, en m'éclairant à la lumière du passé, de vous montrer l'avenir tel que je l'entrevois pour la race canadienne-française.

Si j'avais à faire un discours dans le genre de ceux que j'ai entendu réciter autrefois, lorsque j'étais jeune, les jours de la Saint Jean-Baptiste, si je voulais faire ce que les Yankees appellent du spread-eagleism, je dirais que la race française du Canada est une race privilégiée, implantée sur le sol d'Amérique par l'ordre de Dieu lui-même, pour y civiliser les barbares; je dirais que c'est une race dont la destinée est de dominer sur les autres races qui peuplent le continent américain, tout comme la tribu de Juda était destinée à régner sur les onze tribus qui composaient le peuple d'Israël; je dirais que dans un avenir plus ou moins éloigné, mais à coup sûr dans le cours du siècle qui vient de s'ouvrir, la Grande République Américaine ne manquera pas de se disloquer ou de se dissoudre, de manière à former un grand nombre de républiques diverses, suivant les intérêts des différents groupes de la population qui l'habite tendront, à se séparer ou à se réunir, sur les différents points du continent; je dirais que les provinces anglaises de la Confédération Canadienne obéissant aux lois de l'affinité et de la sympathie créées par l'identité du langage et des croyances religieuses se hâteront de se joindre à quelques-unes de ces Républiques ainsi détachées du corps principal, si même elles ne formaient pas elles-mêmes des républiques absolument distintes et séparées.

Prenant alors comme certain que toutes ces révolutions se sont déjà accomplies, je m'empresserais de faire en termes émus, le portrait de la province de Québec, que je représenterais comme une "France nouvelle" à la tête de cette "nouvelle Europe".

Voilà ce que je dirais si, demeurant sourd à la voix de l'Expérience, et aveugle au spectacle qui se déroule autour de nous, je cherchais, au moyen de théories fantaisistes à flatter la vanité de mes compatriotes; mais il ne s'agit dans le moment, ni de faire une peinture que seuls les écarts d'une imagination par trop enthousiaste pourraient m'inspirer, ni de flatter la vanité de personne. Vous me demandez de pronostiquer l'avenir et vous comptez nul doute, avec raison, que je devrai m'appuyer sur des faits certains et des déductions logiquement tirées. C'est ce que je vais m'efforcer de faire en développant ma pensée en aussi peu de mots que possible.

Et d'abord, laissez-moi vous dire que je ne crois pas à la probabilité, ni même à la possibilité de la dissolution de l'Union Américaine, et je considère comme une utopie et comme une chimère l'idée que cette dissolution pourrait s'opérer dans le cours du siècle qui vient de s'ouvrir.

Pour nous faire croire à la possibilité d'une telle dissolution, on nous parle quelquefois des causes qui ont amené le groupement des diverses nations composant la grande famille européenne; je réponds: Les causes qui ont amené ce groupement dans la vieille Europe ne se retrouvent nulle part dans la République Américaine. Il n'existe qu'une seule nation aux États-Unis: Cette nation, il est vrai, s'est recrutée parmi des races bien différentes les unes des autres, mais une fois implantées sur le sol d'Amérique, ces diverses races se sont fondues dans le grand tout et sont devenues "la nation américaine".

Il n'y aura jamais de Charlemagne en Amérique qui morcellera le territoire américain pour le distribuer entre ses enfants. Et puis, ne l'oublions pas: Ce n'est pas sous l'empire de la crainte ni sous le fouet d'un conquérant que les soixante dix millions d'habitants qui couvrent le sol de la Grande République sont convenus de former entr'eux une union indissoluble; ce qui les a unis, et ce qui dans l'avenir continuera de les maintenir dans leur union, ce sont les grands principes de la démocratie, à savoir: la "Liberté", l'"Égalité" et la "Fraternmité", principes que tous sont fiers de professer et pour le maintien desquels il n'y a pas un citoyen américain qui ne serait prêt à sacrifier sa vie. Pour cette raison, je n'entrevois aucune cause de désunion qui pourrait, un jour, amener une dislocation de la République ou un morcellement de son territoire.

Comme, à peu de choses près, les mêmes principes prévalent dans notre Confédération, je ne trouve pas plus de raison chez nous que je n'en vois chez les Américains, de prédire une dissolution probable de l'Union Canadienne. J'admets bien, cependant, qu'il ne serait pas impossible, au cas d'une guerre entre l'Angleterre et les États-Unis, que notre pays passât sous la domination de la République Américaine; mais, cette domination nouvelle ne pourrait subsister que pour un temps seulement, et ce temps ne pourrait être que fort court. Jamais l'Angleterre ne consentira à céder le territoire du "Dominion" aux Américains, et cela, pour la bonne raison que, pour la Couronne d'Angleterre, céder le Canada à un pouvoir étranger serait sanctionner le principe que l'"Empire est susceptible d'être dissout"; ce serait sonner le glas funèbre annonçant la fin de la puissance anglaise; ce serait admettre que l'Angleterre est devenue une autre Espagne. Il n'existe aucune cause qui puisse faire présager un pareil désastre. Bien au contraire, tout semble indiquer que les forces entières de l'Empire viendraient se concentrer sur notre territoire pour le sauver d'une invasion étrangère.

Il me paraît donc bien clair, que pendant la durée du siècle qui commence le Canada continuera de demeurer uni à l'Angletere et à l'Empire Britannique. Il est probable que le nom de "Colonie" par lequel on nous désigne disparaîtra avant longtemps, et qu'on remplacera ce qualificatif peu populaire, par un autre mot plus en harmonie avec notre indépendance nationale; mais nous n'en demeurerons pas moins une partie intégrante de l'Empire Britannique.

Ces bases étant posées, il me sera facile maintenant de donner une solution au problème que vous me demandez de résoudre, à savoir: "Qu'adviendra-t-il de la race Canadienne française durant le XXe siècle?"

Voici ma réponse:

La race canadienne-française sera ce qu'elle est aujourd'hui avec les modifications suivantes: Les Canadiens-français deviendront plus canadiens, plus "Britishers", plus unis à leurs compatriotes de langue anglaise; mais dans cent ans d'ici ils seront encore des Canadiens-français, c'est-à-dire des Canadiens parlant la langue française et fidèles à leur origine, à leur institution, à leurs lois et à leur religion. Entendons-nous, cependant, sur ce nom de "Canadiens-français". Une nation ne peut pas avoir deux allégeances. "Nul ne peut servir deux maîtres à la fois". Les habitants du Canada ne peuvent espérer de former une nation distincte et de jeter les bases d'un grand pays, tant que le Canadien d'origine française mettra la France en première ligne dans ses affections. Il faut qu'il sente que sa patrie est ici dans ce beau pays que Dieu lui a donné pour héritage. Je n'ai pas besoin d'ajouter que la même loi s'applique aux Canadiens d'origines anglaise, écossaise ou irlandaise.

La race canadienne-française est une race fière. On pourrait peut-être nous anéantir et nous massacrer jusqu'au dernier, mais nous subjuger... jamais. Aussi lisez l'histoire de notre peuple depuis la cession. Pendant plus d'un siècle c'est-à-dire aussi longtemps qu'on nous a traité comme des étrangers dans notre propre patrie, nous nous sommes tenus à l'écart, drapés dans notre dignité comme l'hidalgo espagnol dans son manteau. Mais, si d'un côté, nous sommes toujours prêts à résister à l'oppression, d'un autre côté, toute notre fierté et toute notre antipathie disparaissent du moment qu'on nous traite avec justice et avec bonté. Le jour où une majorité anglaise et protestante choisit l'un des nôtres pour en faire le premier ministre du Canada, ce jour là vit surgir plus de "Britishers" parmi les Canadiens-français que jamais l'Angleterre n'en avait rêvés jusqu'alors. Des centaines, des milliers, que dis-je, des centaines de milles parmi nous se sont dits:

"Eh quoi, il est donc vrai que nos compatriotes de langue anglaise entendent traiter avec nous sur un pied de justice et d'égalité; alors c'est autre chose. Ils veulent être Canadiens avec nous et comme nous: eh bien, c'est entendu, oublions le passé et tendons-leur la main."

L'union des races, (je ne dis pas la fusion, je ne la crois pas possible), mais l'union des Franco-canadiens et des Anglo-canadiens, voilà l'avenir que je prévois et que je souhaite à mon pays pour le bonheur des générations qui suivront. Les Canadiens-français resteront Français pour eux-mêmes et non pour le compte d'aucun autre pays, mais avant tout seront Canadiens. Or, qu'est-ce qu'un Canadien? C'est un homme qui est né dans un pays libre et qui a grandi sous l'égide des institutions démocratiques. C'est un homme qui révère le drapeau du Grand Empire qui le protège et dont les couleurs flottant au-dessus de sa tête sont comme un emblème, un signe d'alliance et de ralliement entre lui et tous les peuples qui vivent sous la même protection. C'est un homme qui sait que son titre de citoyen britannique est pour lui comme un talisman qui lui assurera le respect de tous, en quelque pays qu'il se trouve. C'est un homme qui sent qu'il peut braver partout la tyrannie, l'injustice et la persécution, parce que derrière lui se trouvent toutes les forces de l'armée et de la marine du grand Empire anglais pour le protéger et faire mordre la poussière à ses oppresseurs. Or, tout cela nous vient de la vieille Angleterre. Il est bien vrai que notre langue est celle de la France, mais nos moeurs, nos habitudes, nos goûts, notre éducation politique et sociale, notre amour passionné et intelligent pour la vraie liberté sont autant de choses qui sont le résultat de notre contact journalier avec nos concitoyens de langue anglaise.

Dans le but de resserrer les liens d'amitié et de rendre plus intenses les sentiments de sympathie qui nous unissent à nos compatriotes anglais, dans le but de donner à nos enfants les mêmes chances d'avancement que celles qui se trouvent à la portée de nos concitoyens de langue anglaise, et surtout dans le but de conserver à notre Province sa part de légitime influence dans la grande famille canadienne, nous sentons qu'il faut faire apprendre aux générations qui grandissent la langue de la majorité. C'est une nécessité qui s'impose, et devant laquelle nous ne pouvons pas reculer, à moins de consentir à faire de nos enfants les domestiques et les serviteurs de leurs compatriotes anglais.

Dans vingt-cinq ans, toute la jeunesse instruite parlera l'anglais comme Laurier, et dans cinquante ans on entendra dans nos campagnes ce langage moitié anglais moitié français qui fait le charme des poésies si pleines de fraîcheur que nous donne, de temps à autre, notre ami le Dr Drummond; mais le français restera. Ce sera comme aujourd'hui la langue de la famille. Ce sera aussi la langue de l'aristocratie, même de l'aristocratie de nos provinces-soeurs. Lorsque les Anglais, les Écossais et les Irlandais de bon ton verront notre population instruite converser avec une égale aisance en anglais et en français, ils ne voudront pas se laisser surpasser par leurs compatriotes d'origine française. Ils feront ce que l'aristocratie anglaise fait aujourd'hui en Angleterre, en Écosse et en Irlande, et comme elle, ils se sentiront fiers d'arriver à parler le français comme les Salisbury, les Dufferin et les Landsdowne, c'est-à-dire mieux que nous. Oh! Ne craignons pas de voir jamais disparaître du Canada notre belle langue française. Sa supériorité, soyez-en sûrs, s'imposera toujours d'elle-même.

Dans cent ans, la population du Canada, si l'on juge de son accroissement par les recensements faits durant les cinquante dernières années, devra être au moins de douze à quinze millions d'habitants. À cette époque, notre immense territoire du Nord-Ouest aura été subdivisé en quatre ou cinq belles provinces dont chacune produira assez de blé pour nourrir sa population et celle de l'Angleterre pendant douze mois. Montréal, grâce à l'expansion extraordinaire de notre commerce et grâce surtout à la crétion d'une ligne courte vers les grands lacs au moyen du Canal de la baie Georgienne, et du creusement de la rivière Ottawa, Montréal, dis-je, sera devenu l'un des plus grands centres de distribution du continent américain et peut-être du monde entier, Sainte-Anne de Bellevue et le Sault-au-Récollet seront des faubours du "greater Montreal".

Dans notre province, la population canadienne française couvrira tout notre Grand Nord jusque bien au-delà des Laurentides. Nos pouvoirs d'eau seront partout exploités, et sur tous les points de la Province on verra surgir des petites villes manufacturières où viendra se grouper une nombreuse population. Dans cent ans, l'éducation sera devenue obligatoire au Canada, comme elle l'est aux États-Unis, et dans notre province tout le monde saura lire et écrire en anglais et en français. Le Canadien-français à qui il prendra fantaisie d'aller chercher de l'emploi dans la République voisine ne sera plus, comme aujourd'hui, exposé à se voir refuser le droit de franchir la frontière américaine pour la raison humiliante qu'il ne sait ni lire ni écrire. La connaissance de la langue de la majorité rendant plus faciles et plus fréquentes les relations entre les habitants des diverses provinces de la confédération, il en résultera, qu'en se connaissant mieux, les uns et les autres s'estimeront davantage. Les préjugés de race et de religion disparaîtront rapidement pour faire place à la tolérance et à un sentiment de générosité mutuelle. Toutes les nationalités seront confondues dans la nationalité canadienne. On n'en reconnaîtra pas d'autres et on n'en souffrira pas d'autres. Les Canadiens, reconnus pour leur bravoure sur les champs de bataille et par leur esprit de paix et de conciliation dans leurs relations intestines, admirés à cause de leur instruction et de leur progrès dans l'agriculture, les arts et les sciences, seront partout cités comme un peuple modèle et l'un des plus florissants et des plus heureux de la terre.

Les Canadiens-français, fiers d'appartenir à ce peuple vigoureux recruté parmi les races les plus fortes et les plus intelligentes de l'Europe, et se félicitant de ne plus passer chez les nations étrangères pour des indiens superstitieux ou des métis ignorants, rivaliseront d'efforts et de travail pour arriver partout au premier rang. Il n'y aura plus ni haine, ni jalousie entre les races qui habiteront le Canada, pas plus qu'il n'en existe en France, entre un Breton et un Normand, ou entre un Marseillais et un Gascon; il n'y aura entre eux qu'une rivalité pacifique et légitime comme celle qui peut exister entre les sujets d'un même pays, et tout Canadien de quelqu'origine qu'il soit, lorsqu'il voyagera à l'étranger pourra après avoir décliné son nom, ajouter avec orgueil: "Je suis du Canada."

Tel est, Monsieur le Rédacteur, l'avenir que j'entrevois pour la race Canadienne-française et que je souhaite de tout mon coeur à notre belle patrie.

Veuillez me croire, Monsieur le Rédacteur, votre compatriote dévoué.

H. C. Saint-Pierre
4 février 1901.

Le Canada
Montréal, vendredi 25 juin 1943.



Jacques Beaulieu
beajac@videotron
Révisé le 22 juillet 2019
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