Mes racines / my roots

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Lettre du 28 avril 1902
Lettre du 28 avril 1902



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 28 avril 1902
À Mademoiselle Attala Mallette
Sainte Martine
Mon Attala Chérie,

Vous m’en voulez, n’est-ce pas, chérie, d’avoir tardé à vous écrire; vous croyez que je veux user de représailles, qu’à mon tour je veux vous faire souffrir! Détrompez-vous, mon coeur ne nourrit jamais de semblables projets contre la paix, le bonheur de ma petite Bien-Aimée; je vous aime trop, vous le savez bien pour pouvoir entretenir à votre égard d’autres sentiments que ceux du plus ardent amour, de la plus complète soumission à vos désirs. Mais, je ne sais quelle conspiration est tramée contre moi? Imaginez que depuis deux jours, on durait que tout le monde a pris envie de me venir voir: on vient par affaire, on vient par intérêt, on vient par amitié; mais on vient toujours & j’en suis exaspéré: au milieu de tous ces visiteurs acharnés, je ne puis me livrer à l’étude, je n’ai pu écrire à ma bien-aimée petie reine; dont le coeur se remplit de fiel à mon endroit, dont l’amour va s’étiolant, faute d’une brise de tendresse; dont les pensées désertent son Émery pour s’occuper de choses plus actuelles, plus intéressantes que ce méchant qui n’écrit plus.

Pourtant, Attala, je vous aime toujours avec la même ardeur; toujours de plus en plus. Tenez ce voyage de la semaine passée est le plus charmant que j’aie jamais fait à Ste Martine. Avez-vous réalisé, mon cher ange, combien vous avez été aimable durant ces deux jours; quel charme vous avez mis dans toutes vos manières, quelle douceur exquise, enivrante, s’attachait à chacune de vos paroles; quelle affection brillait dans vos regards.

Attala, ma mignonne, mon adorable, que n’êtes-vous pas toujours ainsi; non je ne désire rien de plus; c’est tout tout ce que j’attends de vous pour être parfaitement heureux par votre amour. Ah! je n’aurais pas peur de vous trop aimer, si vous étiez toujours aussi affable, si vous laissiez voir autant de joie à mon arrivée; autant de désir de me garder auprès de vous le plus longtemps, le plus souvent possible.

Que j’étais heureux, lorsque je vous entendais dire: «Je ne veux pas que vous alliez à Beauharnois, je veux vous garder auprès de moi». N’est-ce pas plus aimable que de vous entendre dire : «Partez donc tout de suite, si vous le voulez.» [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] Ces dernières paroles vous me les avez maintes fois adresser!

C’était pur badinage, direz-vous. Peut-être, mais ce badinage me fait toujours mal au coeur. Je ne suis content, heureux, ravi, que lorsque je vous entends me répéter souvent, de tendres choses, des paroles affectueuses, qui respirent le parfum de votre âme aimante, & dévouée. La moindre froideur, de votre part, o! ma chérie m’est un supplice. Il me semble que nous nous voyons trop peu souvent pour avoir le temps de faire autre chose que de nous répéter notre amour, que de nous prouver notre affection.

C’est bien ce que vous avez semblé comprendre, à mon dernier voyage; oh! combien je vous en remercie, combien mon âme toute réjouie de se sentir aimée de vous, vous en est reconnaissante.

Depuis l’instant où samedi soir, je vous vis à votre fenêtre, jusqu’au moment des adieux, mon coeur a nagé dans l’ivresse la plus complète, dans la félicité la plus parfaite. Oh! comme je vous aimais, comme je brûlais du désir de vous posséder à moi seul, de pouvoir dire avec vérité, cette fois, que vous êtes ma petite femme chérie; ma mignonne; ma reine, mon adorable Attala. En vous voyant si affectueuse, ma fatigue s’est dissipée, mon courage m’est revenu plus ferme que jamais, soutenu par la détermination bien arrêtée, de hâter à tout prix le moment de notre union. Aussi, j’ai bien travaillé depuis ce jour, je n’ai pas eu de défaillance & je me trouvais heureux, malgré mes fatigues, parce que je pouvais reporter ma pensée vers vous, sans éprouver de ses douloureux serrements de coeur qui me font tant souffrir; quand je ne reçois pas de vos nouvelles, quand je doute de votre amour. Au contraire, tout mon être tressaillait d’allégresse en pensant à vous; mon coeur frémissait d’amour, en repassant tous les instants de mon voyage, en méditant toutes vos paroles, en commentant toutes vos actions. Et je rêvais un petit foyer tout joyeux, tout rose; animé par la présence d’une petite femme toute mignonne, toute gentille, aux bras affectueux, aux lèvres avides & prodigues de baisers, au coeur surtout bien bon, bien dévoué, bien tendre: ainsi vous m’apparaissiez, ainsi vous m’apparaissez encore en ce mement où je vous écris & ce rêve, je veux à tout prix en faire une réalité. J’y mets toute ma volonté, toute mon énergie, toute ma force, aidez-moi, je vous en conjure, de toute votre tendresse, de toutes vos prières, et nous y parviendrons & je vous jure qu’alors, o! ma chérie, je vous ferai la plus heureuse épouse que vous ayez jamais rêvée: si mon amour, ma fidélité inviolable, ma tendresse & mes soins empressés & constants peuvent vous rendre heureuse.

Quand venez-vous à la ville, Attala chérie?

J’ai consulté le calendrier tous les jours & je sais que jeudi est le 1er mai: or vous devez venir dans les [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] premiers jours de mai. La question est donc de savoir jusqu’à quand, l’on est dans les 1ers jours de mai.

Comme vous craignez de vous «ennuyer» en passant un dimanche à Montréal, il est probable, que vous remettrez votre voyage à la semaine prochaine, à lundi par exemple.

Dans tous les cas, faites-le moi dire quelques jours d’avance, si c’est possible, car vous savez que je suis bibliothécaire de la faculté de droit, ce qui me retient à l’université une grande partie de la journée. Je devrai donc voir à me trouver un remplaçant, ce qui sera facile, si vous voulez bien me donner quelques jours d’avis de votre arrivée.

Vous me direz aussi si la pluie vous ferait remettre votre voyage au lendemain ou même au surlendemain du jour proposé, à quelle gare vous débarquerez, & enfin à quelle adresse vous trouverai-je: tout cela afin de parer à toutes les éventualités qui pourraient m’empêcher de me rendre à la gare.

Comme j’ai hâte de revoir ma petite Attala tant aimée, comme je vais bien me reposer auprès d’elle, sous ses regards chargés d’amour, au son de sa voix délicieuse & suave.

Vous serez aimable, comme à Ste Martine, n’est-ce, bien-aimée de mon âme; vous serez désormais toujours ainsi, n’est-ce pas? pour chasser à jamais les vilains soupçons qui parfois surprenaient mon esprit, pour cacher sous un tapis de roses, les ronces du passé, pour me donner enfin un avant-goût de ce que vous serez pour moi, lorsque vous m’appartiendrez.

Ma chère Attala adorée, à deux genoux je vous demande pardon de n’avoir pas écrit plus tôt. Vous savez dans quelle position je me trouve, vous savez quel effort de travail je suis à faire pour arriver à un bon résultat; vous savez enfin combien j’ai été dérangé depuis dimanche.

Ma Bien-Aimée, vous ne doutez pas de mon amour, n’est-ce pas; ma fidélité passée à vous écrire doit vous porter à l’indulgence pour mon présent retard. Que dis-je? j’ose vous supplier d’intervertir les rôles, pour d’ici aux examens.

Permettez-moi d’être un peu, la négligente Attala & vous, chérie, soyez le diligent Émery. Voyons, est-ce trop attendre de votre affection? Non! n’est-ce pas, vous êtes capable de vous dévouer pour ceux que vous aimez; vous savez que j’ai besoin, un vrai besoin de vos lettres, pour pouvoir travailler, l’âme en paix; ne me les refusez pas, ne me les ménagez pas parce qu’aujourd’hui j’ai été retardataire.

Je serai plus fidèle à l’avenir. Attala chérie, dites-moi bientôt quand vous serez à Montréal & que ce soit le plus tôt possible

Votre Émery à vous seule








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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