Lettre du 2 avril 1902 | ||
Lettre du 2 avril 1902
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: [Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 2 avril 1902
À Mademoiselle Attala MalletteVous n’êtes plus là, tout près de moi, à mes côtés; je cherche en vain vos doux regards chargés d’amour; j’attends en vain un mot, un seul mot de tendresse; je désire inutilement vos caresses: tout est fini, je suis seul, loin de mon seul bonheur, loin de mon Attala chérie; et pour toute consolation, l’espoir de vous revoir dans un mois! Mon Dieu, mon Dieu, que c’est dure [sic] cette existence loin de celle que j’adore; Attala bien-aimée, vous ne savez pas comme je souffre de ne pouvoir vous parler, vous voir, vous dire toute mon affection, vous entendre - o! bonheur ineffable!, me répéter avec conviction que vous m’aimez, que vous m’aimerez toujours. Ah! chérie, combien vous êtes aimée par votre pauvre Émery; quel progrès incroyable votre amour a fait dans mon âme, depuis Pâques de l’année passée. Hier, hier, car il n,Y a qu’un seul jour que dure mon supplice, en descendant à Montréal, je me suis reporté par la pensée, au mardi de Pâques dont celui-ci est le premier anniversaire; j’ai rappelé à mon esprit, les sentiments qui agitaient alors mon âme. Attala chérie, vous savez que je vous aimais alors; je venais de vous jurer un amour aussi durable que la vie & Dieu sait que j’étais bien résolu à tenir mes serments. Pourtant, laissez-moi vous le dire, je n’étais pas sans quelqu’appréhension de me sentir dans cette position si nouvelle pour moi, où je venais de me placer par mes promesses de fidélité. Pour la premièrer fois de ma vie, je me sentais privé de la liberté de donner mon coeur & mes attentions à qui je voudrais; pour la première fois, je sentis le joug sur mes épaules; joug bien doux, si vous le voulez, puisqu’il avait tout le satiné de votre petite main de velours; mais je ne pouvais me dissimuler que c’était un joug. Combien différentes étaient mes impressions d’hier matin. Assis à l’écart, bien seul, je méditais sur tout ce que vous m’aviez dit de si doux, de si suave, mon coeur frémissait d’ivresse au souvenir de certaines expressions, plus tendres, signes infaillibles d’un coeur vraiment affectueux; je revivais l’un après l’autre, tous les instants de mes quelques heures passées en votre compagnie, je vous parlais, vous me répondiez & dans ce colloque divin, le monde extérieur n’existait plus pour moi; ou plutôt il n’y avait même plus de [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] convoi, c’était le salon de ma bien-aimée qui abritait notre amour; c’était la veillée de la veille que je continuais; tellement vivace était le souvenir de notre dernier entretien. Ah! comme j’étais loin de considérer votre amour comme un joug, mes serments comme une entrave à ma liberté; mon coeur n’avait qu’un désir: s’unir plus étroitement à vous par des liens plus sacrés, par des liens indissolubles, noués par la main de Dieu lui-même. Et ce fut comme un glas funèbre que j,entendis résonner à mes oreilles «Montréal, Montréal». Ah! ce n’est pas le moment où je prends le train à Ste Martine, qui me déchire le coeur; non, ce convoi, ces gens, cette atmosphère, c’était encore un peu de vous, c’est quelque chose de ma bien-aimée qui m’accompagne, me fortifie, me donne l’illusion que je vous verrai sous peu. Mais lorsque je m’engouffre dans les rues de la ville, lorsque je me hâte vers l’université, oh! alors, quel froid j’éprouve au coeur! quels sanglots me montent follement à la gorge; quelles révoltes contre l’inexorable destin qui me jette ainsi loin de ce que j’aime plus que moi-même, loin de mon seul bien, loin de mon amour, loin de mon Attala, de mon adorée, de ma bien-aimée petite reine. Attala, Attala, je ne puis pas me faire à cette vie sans vous; il m’est impossible de me résigner à demeurer si longtemps sans vous voir. Un mois! un mois sans vous entendre me dire tout bas que vous aimez bien tendrement votre Émery, que vous êtes certaine de l’aimer toujours! un mois sans vous sentir près de moi, sans me mirer dans vos beaux yeux, sans me rassasier de votre affection! non! non! je ne puis pas, je ne puis pas. Ah! mon Dieu! que vais-je devenir? que ne puis-je dès à présent vivre de votre vie, me délecter de vos caresses, m’enivrer sans cesse de vos baisers infatigables, Attala, Attala, que ne puis-je dès à présent m’unir à vous pour la vie, vous appeler avec ivresse «mon épouse adorée, ma compagne bien-aimée.» Il faut que nous fassions violence au Ciel, pour qu’Il hâte le moment de notre union, il faut que nous touchions le coeur de notre Divine Mère, pour qu’elle unisse bientôt, bientôt, le plus tôt possible, ses deux enfants qui s’aiment si tendrement & qui l’aiment tant ensemble, si elle daigne écouter nos ferventes prières. Chérie de mon âme, quel trésor inestimable est votre petit coeur! comme il est riche en qualité de toutes sortes, en amabilités innombrables. Quel bonheur incroyable que celui d’être aimé par une jeune fille telle que vous, si bonne, si courageuse, si dévouée, si pure. Vous avez toutes les grâces de la femme, sans en avoir les faiblesses; vous êtes l’idéal de mes rêves, la compagne si ardemment désirée, l’ange bénie qui doit mettre la joie dans mon âme, la paix dans mon coeur, la lumière & l’amour dans mon foyer. Ah! comme je brûle d’amour pour vous; comme j’ai hâte de vous donner une réponse catégorique, irréfutable à cette question que vous me posez si souvent & qui me va droit au coeur: «Serez-vous bon pour moi?» Oh! oui, mon Attala adorée, oui mon charmant chérubin, je serai bon, bien bon, tendre, affectueux & dévoué pour vous, petite reine chérie, je me dépenserai avec joie pour votre bonheur, je me dévouerai avec amour à vous bâtir sur mon coeur, un petit [Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] nid si moelleux, si douillet que vous serez bien forcée de dire «Comme mon Émery est bon pour moi.» Entre les coups du destin & vous, o! mon Attala bien-aimée, je placerai mon coeur, & ce n’est qu’après l’avoir transpercé de part en part que le malheur pourra vous atteindre. S’il faut un torrent de mes larmes, pour épargner une de vos larmes, je n’hésiterai pas un instant & nulle souffrance ne sera trop grande pour vous épargner la moindre contrariété. Ah! oui, Attala de mon âme, croyez-en mon amour, je serai bon pour vous; je ne comprends pas l’amour sans le dévouement & j’éprouve une véritable volupté à me sacrifier pour ceux que j’adore; que ne ferai-je pas pour vous que j’adore? Il faut que je cesse un instant, mon coeur se gonfle, mes regards s’obscurcissent! Ah! que je souffre loin de vous, o! ma chérie! Dès mon arrivée, je me suis plongé tête baissée, dans mes livres, mais votre souvenir me suit partout; malgré moi, mon esprit déserte la loi pour penser aux charmes de mon Attala; il m’arrive parfois de m’arrêter subitement, au milieu d’une promenade, dominé par la vivacité de ma ressouvenance. Jamais, jamais, je ne vous ai tant aimé, o! mon Attala; jamais, je n’ai senti plus vivement qu’il me serait absolument impossible de vivre sans vous, d’en aimer une autre que vous, d’unir ma destinée à une autre qu’à vous. Ah! gardez-moi votre bon petit coeur, n’y laissez entrer personne, fût-il, lui, «fils de prince ou de seigneur»; aimez-moi bien, chérie, vous voyez combien je vous aime; j’ai votre promesse, votre serment solennel que vous m’avez donné, à l’instant de mon départ, et je m’y confie entièrement: ne trompez pas ma confiance. Quant à moi, ma chérie, vous savez avec quelle ardeur, avec quelle fidélité je vous aime; vous savez avec quel dévouement je veux travailler à vous rendre bien heureuse. Oh! oui, Attala bien-aimée, vous serez bien heureuse avec votre mari Émery; vous serez aussi heureuse qu’une femme peut l’être, lorsqu’elle est l’idole choyée, caressée, embrassée de son époux, lorsqu’elle voit que son époux n’a pas un battement de coeur qui ne soit pour elle, pas un désir qui ne tende à lui faire plaisir, pas un instant de joie hors la présence de sa chère petite femme bien-aimée. C’est près de vous, dans vos bras, sous vos baisers & vos caresses & là seul, chérie que je trouverai mon bonheur, mon repos, ma félicité! Oh! les douces heures d’ivresse, de délire, de félicité indicible que celles passées dans vos bras, sentant votre coeur battre près du mien, votre haleine caresser ma figure, vos baisers effleurer mes lèvres. Attala, je vous aimerez plus que vous n’avez jamais rêvé de l’être; vous trouverez en moi toute la tendresse dont vous avez été privée par la disparition de votre chère mère. Votre Émery sait aimer & dès maintnant il aime son Attala avec délire, à la folie, vous le sentez bien; n’avez-vous pas été tentée de vous en plaindre? Mais laissons ces pénibles souvenirs; tout est noyé dans les les flots de notre amour. Mon Attala m’aime, je le crois, je le sens & moi je la chéris chaque jour davantage. Oui, Attala mignonne, sachez que chaque jour mon affection pour vous s’accroît, grandit, deveint plus intense, plus ardente, plus incontestable. Je ne me possède plus; je suis vôtre corps & âme; je suis votre Émery, votre propriété, votre bien. Vivre sans vous, sans votre amour, sans vos baisers, m’est absolument impossible. Attala, Attala, mon plus grand désir est de m’unir à vous le plus tôt possible. Là seulement, je serai heureux d’un bonheur immense, serein, sans mesure. Voulez, chère Ange, me procurer ce bonheur ineffable en vous donnant entièrement à moi, en devenant mon épouse bien-aimée, ma compagne chérie? Ma Bien-Aimée Attala, nous en sommes encore une fois obligés de recourir aux lettres pour nous dire notre amour; c’est bien peu de choses une lettre & cependant, c’est tout ce qui nous reste pour quelque temps. Je ne vous demande pas une lettre pour samedi; ce serait trop attendre de votre amour mais que lundi du moins m’apporte, si possible, une bonne longue lettre pleine d’affection. Ma pensée va sans cesse être occupée de cette missive; je vais l’attendre avec impatience, ne trompez pas l’attente de celui qui vous adore, mais je vous laisse bien libre de me faire une agréable surprise en m’écrivant pour samedi. Encore une dernière fois, je vous aime, je vous adore, je vous désire de toutes mes forces. Ma chérie, permettez-moi de déposer au bas de cette page, un bon baiser pour vous.
Votre Émery qui vous aime à la folie.
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