Mes racines / my roots

Henri Césaire Saint-Pierre


Adéline Albina Lesieur


Napoléon Mallette


Louis Émery Beaulieu


Guillaume Saint-Pierre


Joseph Bélanger


Geneviève Saint-Pierre


Jeanne Beaulieu Casgrain


Jean Casgrain


Simone Aubry Beaulieu


Marcel Malépart


Jaque Masson


Édouard Trudeau


Rolland Labrosse


Jacques Cousineau



Recherche
de
"Mes racines"

sur
JacquesBeaulieu.Ca


Retour
à la page
initiale

de
JacquesBeaulieu.Ca
Lettre du 3 mars 1902
Lettre du 3 mars 1902



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 3 mars 1902
À Mademoiselle Attala Mallette
Sainte Martine
Mon Attala Adorée,

Non ce n’est ni mercredi, ni jeudi que vous recevrez une lettre de votre Émery, mais dès aujourd’hui; et cependant il est bien tard pour commencer une lettre; deux heures vont bientôt sonner; j’ai fourni une rude journée d’étude, ma tête est lourde, mes yeux sont rougis par le travail & les pleurs; mais mon coeur est trop angoissé pour que je me couche ainsi; dussé-je n’avoir que quelques heures de sommeil je dois dire avant de m’endormir, à mon Attala chérie, à la reine de mon coeur, à celle que j’aime plus que je ne puis dire, que ses craintes sont puériles, que ses craintes sans ombre de raison, m’ont fait une plaie au coeur qui m’a fait verser bien des larmes.

O! chérie de mon âme, à votre tour vous m’accusez de vouloir vous abandonner, vous voulez qu’à mon tour je comprenne la douleur de se sentir incompris de la personne qu’on adore; eh! bien votre but est atteint, ma bien-aimée, car votre pauvre Émery qui vous aime tant, a bien pleuré en lisant votre lettre ce matin et encore maintenant, au moment où il vous écrit, ses yeux sont obscurcis de larmes amères.

Mon Attala, ma chère bonne petite bien-aimée, pourquoi avez-vous ainsi travesti le sens de mes paroles, pourquoi avoir cherché à trouver dans une citation innocente, un sens aussi répréhensible. Eh! quoi, après avoir reçu tant de preuves de mon amour inviolable, de mon attachement inébranlable, quand vous savez bien que mon plus grand désir est de vous consacrer toute ma vie, toutes mes pensées, que ma suprême ambition est de vous posséder, douce Attala adorable, quand vous savez bien que tous les jours & plusieurs fois par jour, je supplie le Ciel, la Ste Vierge de me donner au plus tôt, «mon Attala pour épouse»; vous vous occupez à écouter les cancans de gens malveillants & hostiles, vous y arrêtez votre pensée, vous me causez l’affreuse douleur de me faire part de vos soupçons.

O! mon Dieu que c’est pénible, après une année d’affection pure & ardente, manifestée de la manière la plus évidente, & de toutes les manières, & à tant de reprises, d’avoir encore à se disculper de la hideuse accusation d’infidélité. Mon Attala adorée, mon ange, ma mignonne, de grâce dites-moi donc ce qu’il faudrait que votre [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] Émery qui vous appartient corps & âme & sans aucune réserve, fasse pour vous ôter à jamais la tentation de douter de son effection pour vous, son seul trésor, son bien suprême. Demandez ce que vous désirez, quelque pénible que ce puisse être, du moment que c’est possible & tenez-le d’avance pour accordé. Je puis tout pour vous, puisque vous êtes tout pour moi; rien ne peut m’effrayer de ce que vous demanderez, puisqu’un sourire de vous, une petite caresse bien douce, bien affectueuse, sera pour moi la récompense suprême. O! mon Attala, laissez-moi, ma bien-aimée, vous répéter de toute mon âme, que mon bonheur, que toute ma vie dépend de votre amour; oui, vous êtes indispensable à mon existence; c’est vous seule qui pouvez satisfaire l’ardente fièvre d’amour qui dévore mon coeur; l’ardente aspiration vers une femme idéale: car vous êtes si bonne, o! ma chérie, vous êtes si généreuse o! ma mignonne, vous êtes si pure o! mon beau chérubin blond! vous êtes si aimante, si charmante, o! ma gentille petite reine que vous remplissez parfaitement les qualités que je désire rencontrer dans ma compagne.

Mon Attala, ma bien-aimée, pour la centième fois, & avec plus de sincérité & plus d’ardeur que jamais, je vous jure sur mon honneur que je vous aime de toute mon âme, de toutes mes forces, que je vous aime d’un amour qui loin de s’éteindre, va toujours, toujours grandissant, d’un amour que rien absolument rien au monde ne pourra ébranler, si vous m’êtes fidèle, d’un amour qui ne sera satisfait que par l’union complète & perpétuelle de nos deux coeurs, de nos deux âmes. Vous aussi, chérie de mon âme, vous aimez mieux vous en rapporter à ce que disent des gens que vous savez être furieux de voir notre amour toujours grandissant plutôt que de croire votre Émery qui ne vous a jamais trompée, plutôt que de vous en rapporter à la connaissance que vous avez acquise vous-même de son coeur, de son caractère. Et pourtant, il y a à peine quinze jours, vous me demandiez de faire comme vous, lorsqu’on vous apprend des mauvaises nouvelles, et de répondre que je connaissais mieux mon Attala qu’eux tous, comme vous répondiez que vous connaissiez mieux votre Émery, qu’eux pouvaient le connaître.

Et voilà maintenant que vous doutez, ma chérie, vous doutez de votre Émery, de son coeur que vous possédez depuis si longtemps, de son amour de plus en plus vif, de plus en plus anxieux de se traduire en caresses chaudes & affectueuses, en baisers ardents & mille fois répétés, en soins délicats pour sa petite chérie, pour sa toute petite Attala qu’il idolâtre. Ah! que n’êtes-vous ici tout près, tout près de moi; je vous punirais bien d’avoir douté, je me vengerais bien de vos soupçons; car je ne cesserais de vous accabler de caresses amoureuses, d’embrassements délirants jusqu’au moment où vous vous écririez que plus jamais vous ne retomberiez dans cette lourde faute de douter de celui qui s’est donné à vous tout entier, entendez-vous tout tout entier pour toute la vie et qui renouvelle ici ce don complet de tout son être avec joie, avec ivresse, avec amour. Ma chérie, ma bien-Aimée Attala, je vous aime avec délire, je vous aime à la folie, et vous doutez encore! Mon Dieu, que vais-je donc faire.

Je ne veux pas que vous doutiez jamais, Attala, je veux que vous soyez heureuse par mon amour, que vous ne connaissiez jamais la douleur de craindre un abandon! dites-moi donc, o! bien-aimée de mon âme, ce que je pourrais faire pour atteindre ce résultat.

On vous a dit que M. Beaulieu s’amusait à Montréal, c’est faux; que M. Beaulieu sortait avec d’autres jeunes filles, c’est un affreux mensonge; M. Beaulieu étudie, prépare examens, reste à sa chambre, n’aime que son Attala, ne pense qu’à sa bien-aimée, ne désire que son coeur en échange du sien qu’il lui a donné. Attala, depuis le jour de l’an, je n’est fait aucune visite si ce n’est à mes parents. Je n’ai pas même rendu les visites règlementaires du jour de l’an; chez les Delles Brunelle ou ailleurs.

La seule récréation que je me permets la voici. Entre mon souper & 7 ½ du soir, heure où je dois être à l’université, je vais souvent chez M. Sauvageau, un parent, pour lire le journal, & recevoir des nouvelles de campagne & aussi pour le tenir au courant de certaines causes que j’ai pour lui. C’est là que j’ai rencontré mon cousin Trefflé & ma tante, c’est là que je rencontre toujours mes parents de Ste Martine. Voilà à quoi se réduisent mes sorties. Il est bien vrai que je rencontre là, souvent une jeune fille, amie intime de ma cousine Melle Sauvageau; mais cette jeune fille, chère Attala bien-aimée, je la connaissais avant de vous aimer & je n’ai jamais voulu lui rendre visite, quoiqu’elle demeure à deux portes de chez M. Sauvageau; de cette jeune fille, je vous ai déjà parlé, je vous ai averti qu’elle m’avait invité, cet été, à lui rendre visite: ce que je n’ai jamais, jamais fait; ce que je ne ferai jamais: car je ne l’aime pas, je ne puis pas l’aimer: c’est vous seule, vous seule, méchante petite Attala, que j’aime plein mon coeur, que j’aimerai toujours, à qui j’appartiens en pleine & entière propriété.

C’est tout ma chérie, êtes-vous satisfaite; Attala, je vous jure devant Dieu que c’est là, l’exacte vérité. Et maintenant mon cher Ange, si quelque chose vous déplait, dites-le bien franchement à votre Émery & votre Émery le changera; voulez-vous que je cesse d’aller chez M. Sauvageau, je le ferai, avec plaisir, ma bien-aimée, si vous voulez en manifester le moindre désir: il n’ya que vous à qui je veuille plaire: tout le reste m’est indifférent, n’existe pas pour moi! Mon bonheur, mon espérance, mon ambition, mon amour, ma vie, c’est vous, rien que vous, Attala chérie, Attala bien-aimée, Attala mignonne petite reine. Pourquoi dire méchamment que je soupire après ma liberté, lorsque vous savez bien que les liens de votre amour, sont les seuls liens qui me rattachent à la vie; ou plutôt en quoi la liberté est amoindrie par mon amour inviolable pour vous? La liberté ne consiste-t-elle pas à faire ce que que l’on veut, or je ne veux qu’une chose, vous plaire, vous rendre heureuse, vous chérir de plus en plus. Direz-vous encore que votre Émery est changé; que son amour diminue, que ses lettres sont froides, si votre coeur ne s’émeut plus à la lecture des lettres de votre Émery, cela prouve qu’il est lui-même asséché, & non pas que mes lettres sont plus froides. Attala, c’est bien à vous que ce reproche s’adresse: vous ne pouvez plus écrire plus de quatre pages: votre coeur est à bout d’amour; votre plume ne trouve plus rien à dire, votre esprit est fatigué: et cependant vous n’avez ni examens à passer, ni études à faire; et moi vous me grondez parce qu’une fois, une seule fois, pressé d’ouvrage, craignant d’être en arrière, je ne vous écris que 4 pages. Êtes-vous bien raisonnable? Qui donc possède le plus de tendresse, Attala, ma bien-aimée, si vous ne m’écrivez pas plus de 4 pages, je dirai que vous ne m’aimez plus, & j’aurai raison. Voyez, je me meurs de fatigue & ma tête est lourde de m’être couché trop tard pour vous écrire: c’est votre faute, méchante. Si au moins je puis vous faire une joyeuse surprise, si je puis vous épargner quelques heures d’ennuis, essuyer quelques larmes; comme je serai bien récompensé. Ah! s’il eut été possible de le faire, c’est moi-même qui serait allé vous dire combien vous étiez injuste dans vos soupçons qui me font tant de peine. O! mon Attala adorée, j’ai hâte d’avoir un entretien bien tendre, bien affectueux avec vous, mon cher beau trésor. Je fais un pénible carême & je l’offre pour que le moment de notre union en soit hâté. Mon Attala, êtes-vous encore attristée? Non! n’est-ce pas; vous savez bien que je vous appartiens entièrement; pourquoi ces craintes ridicules, pourquoi ses inquiétudes sans raison; c’est vous que je chéris, vous que je désire, vous que je veux & il n’y a qu’une seule chose qui vous empêchera d’être mon épouse chérie, adorée, caressée, embrassée: votre refus qi me briserait le coeur. Maintenant, ô ma chérie, écrivez-moi bientôt, car à mon tour, je souffre de votre souffrance, écrivez-moi 6 pages, car j’ai besoin de votre tendresse, de votre amour, de vos caresses,

Votre Émery à vous seule seule








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
Révisé le 22 juillet 2019
Ce site a été visité 29586248 fois
depuis le 9 mai 2004