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Lettre du 8 janvier 1902

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 8 janvier 1902



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 8 janvier 1902
À Mademoiselle Attala Mallette

Ma Bien-Aimée Attala,

Le sacrifice est consommé, je vous ai quittée, quittée pour un mois; & ces quinze jours de vacance pendant lesquels j’ai eu le bonheur de vous voir à maintes rerprises, ne sont plus maintenant qu’un rêve, presqu’un cauchemar. O! mon Attala! à quoi bon vous le cacher : je pleure amèrement en vous écrivant ce soir, je pleure ma joie envolée, je pleure la fin de mon rêve, je pleure ma veillée d’hier soir. Il est dix heures, vous dormez, mon ange adoré, et hier nous étions aux noces et hier à peu-près à cette heure, nous échangions de gros mots, vous ne m’aimiez pas, vous déclariez que le joug de mon amour était trop pénible pour vous; et moi, à la douleur que me causaient ce sentiment que je lisais sur votre figure, et ses paroles d’autant plus pénibles à entendre de votre bouche qu’elles y étaient nouvelles, s’ajoutait encore un profond mécontentement contre moi-même, causé par le sentiment d’avoir manqué de savoir-vivre envers tout le monde & surtout envers vous; d’avoir été déplaisant pour vous que j’adore; d’avoir cédé à un défaut que je me flattais d’avoir maîtrisé. Ah! si la colere m’est montée au cerveau en un clin d’oeil, le repentir n’a pas non plus tardé & à mon retour de ma promenade nocturne j’étais déjà honteux de moi-même. Vous ne sauriez croire le bonheur que j’éprouvai lorsque je vous vis me demander mon paletot, lorsque je vous vis vous asseoir à mes côtés pour quelques instants trop courts, hélas! mais si doux! oh! si doux! Je m’arrête un instant, aveuglé par les larmes que me cause le souvenir de cet incident.

O! ma chérie, o! ma bien-aimée, laissez-moi encore une fois vous demander pardon; sans doute, je sais bien que vous aussi avez été en défaut à mon endroit, mais votre tort ne peut servir d’excuse à ma conduite. Mais si ma conduite est inexcusable, mon amour pour vous est immense & j’espère qu’à moi aussi il me sera beaucoup pardonné, parce que j’ai beaucoup aimé.

Non! non, je vous en prie, ne cherchez pas ailleurs un joug plus léger; si réellement il est trop lourd, eh! bien je l’allégerai, dussé-je par là, perdre toute tranquilité d’esprit, toute sécurité en l’avenir, toute garantie assurée de votre amour. Je suis prêt à tout souffrir, pourvu [Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm] que vous m’aimiez. O Attala, mon seul bien, ne m’abandonnez pas; souvenez-vous de la dernière parole, que je vous disais en vous quittant hier soir: «Ma bien-aimée, votre amour, c’est ma vie». Cette parole n’est que l’expression des sentiments dont mon coeur débordait.

C’est la seule joie qui me reste au milieu des travaux auxquels je dois me livrer plus âprement que jamais. Sans l’espérance de vous posséder un jour à moi seul, pour mon épouse adorée, que m’importerait le succès; à quoi bon la gloire, à quoi bon les richesses sans le bonheur & Dieu merci, mon coeur est trop noble pour trouver le bonheur dans la vile satisfaction de la concupiscence satisfaire à prix d’argent.

Seule une affection chaste & pure, seul un foyer tranquille & plein de douces caresses, seule une compagne bonne & chérie, fidèle & dévouée peuvent contenter autant que faire se peut ici-bas, la soif de bonheur qui dévore mon âme. Toutes ces qualités je les vois dans mon Attala; aussi jamais je n’ai aimé comme je vous aime: jamais je n’ai mis en une femme la confiance que j’ai mise en vous & si vous me trompiez, je sens que je ne pourrais me confier à aucune autre femme, que mon coeur blasé, dégoûté, broyé, ne pourrait plus se guérir & s’enflammer de nouveau pour faire un mariage d’amour. Oh! dites, voulez-vous faire le désespoir de celui qui vous adore; voulez-vous briser ce coeur qui ne désire que votre bonheur, et qui est capable de tous les sacrifices pour assurer ce bonheur si ardemment désiré. Non! non! ma bien-aimée Attala, n’en agira pas ainsi; Elle est trop bonne, trop sincère, trop fidèle; je crois en son amour; j’ai foi dans sa constance & j’espère & je suis convaincu, que Dieu aidant, il luira enfin ce jour béni où nous ne formerons plus qu’un même coeur.

Après une pénible journée d’étude, je reviens ce soir me réconforter en votre compagnie. Ah! la journée a été dure: j’avais presque perdu l’habitude du travail & puis j’avais à lutter contre des souvenirs de bonheur trop récents pour ne pas venir jeter la confusion dans mes notions légales. Que de fois & de combien de manières différentes n’ai-je pas calculé le temps qui me sépare du jour où je pourrai me jeter de nouveau dans vos bras, vous répéter cent fois & plus que je vous aime à la folie, à l’adoration; vous entendre me répondre de ces douces gentilles choses qui tant de fois ont jeté l’ivresse dans mon âme; vous entendre m’assurer que vous avez bien réfléchi, avant de vous engager pour la vie, que vous êtes parfaitement sûre de m'aimer toujours, sans que rien au monde ne puisse modifier vos impressions; que vous m'aimez «de plus en plus» à mesure que vous me connaissez mieux & qu’enfin vous ne désirez rien tant que d’être unie à votre Émery qui vous chérit si vivement, pour toujours travailler à son bonheur. Ah! les douces paroles sorties de vos lèvres tant aimées; combien de fois n’ont-elles pas bercé mon coeur de pensées enivrantes; je les entends encore résonner délicieusement à mes oreilles; je voudrais les enten[Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm] toujours; je ne puis m’en lasser; j’en apprécie d’autant plus la douceur que je les compare à ces quelques mots si durs pour mon coeur tout plein de vous, que vous m’avez adressés, le soir des noces. Ah! il faut donc toujours une ombre au tableau, il faut quelqu’amertume dans la coupe la plus délicieuse; sans ce pénible incident, ces quinze jours auraient été une extase véritable, un bonheur presque divin – Douce veillée de Noël, charmante messe de minuit, reviendrez-vous encore? m’aimerez-vous encore au Noël prochain? Et ces soirées & ces après-midi du jour de Noël, du jour de l’an, du dimanche avant le jour de l’an, du dimanche après le jour de l’an; comme elles étaient délicieuses, et cette veillée, dernière que nous avons passée seul à seule & que je voudrais être la dernière passée à Ste Martine, comme elle était charmante. Non, non, je ne puis vous dire ce que mon coeur ressent lorsqu’il vous voit ainsi toute attentive à plaire à celui qui vous aime tant; je ne connais pas de mots pour exprimer l’ivresse qui s’empare de tout mon être, lorsque je constate que vous déployez tous les charmes de votre esprit; que vous ouvrez tous les trésors de votre coeur pour moi seul, pour plaire à votre Émery tout seul, pour me donner un avant-goût de ce que vous saurez être, lorsqu’enfin plus rien ne nous empêchera de nous jeter dans les bras l’un de l’autre, de nous prodiguer les noms les plus tendres, les caresses les plus douces, les baisers les plus ardents.

Avec quel orgueil, avec quelles délices je vous contemple en ces instants toujours trop courts; je suis fier de mon Attala, je l’admire autant que je l’aime & je l’estime et la respecte autant que je l’admire; c’est en priant que j’ai commencé à vous aimer sérieusement; c’est après avoir médité aux pieds de la Ste Vierge, que je me suis donné à vous sans réserve; et certes, jusqu’iic, malgré les quelques difficultés qui ont surgi entre nous, jamais je n’ai mis en doute que nous devions un jour être unis pour la vie & aujourd’hui j’en suis plus que convaincu que jamais; & plus que jamais je suis anxieux de voir arriver ce jour béni; plus que jamais je suis décidé de le hâter le plus possible tant par mon travail que par mes prières. Attala, ma bien-aimée, cette série de visites m’a appris à vous connaître plus intimement encore : je ne vous dirai pas que je vous ai trouvée parfaite, vous ne le croiriez pas; mais je puis vous dire, & je vous supplie de le croire, que je vous aime encore bien plus depuis ce dernier voyage; je suis de plus en plus convaincu que nous serons heureux ensemble; de plus en plus décidé à faire tout mon possible pour mériter votre amour éternel, pour assurer votre bonheur. Retenez bien ceci: aux noces de mon cousin Aimé, j’ai cédé pour la dernière fois à un mouvement de colère contre vous. Vous souriez, vous vous dites: «Des promesses; on connait cela»; vous ne savez pas encore ce que valent mes promesses, nul plus que moi n’est esclave de la parole donnée; ai-je manqué d’ailleurs à une seule de mes promesses, depuis que je vous connais? Ah! je ne veux pas dire que je n’éprouverai jamais cette passion qu’on appelle promptitude, je ne veux pas non plus dire que je souffrirai sans souffler mot, les mauvais traitements [Quatrième folio de deux pages 20 x 26 cm] qu’il vous plaira m’infliger; mais ce à quoi je m’engage, c’est de ne jamais ouvrir la bouche, sous le premier choc de la colère, c’est de me taire jusqu’à ce que j’aie repris plein contrôle de moi-même, quitte alors à vous dire en homme bien élevé, ce que je pense de votre conduite. Telle est la promesse que je vous fais ce 9 janvier, 1902, à minuit, en face de votre portrait, au-dessus de la blanche oreiller où je suis sûr que mon beau chérubin dort depuis bien longtemps. Bonsoir, beaux-rêves, rêvez à moi, s’il vous plait.

Avez-vous rêvé à moi? Moi j’ai rêvé à vous & vous ne m’aimiez pas; mais je ne crois pas aux rêves. Attala, ma seule joie, mon bien suprême, mon unique espérance, ma vie, m’aimez-vous bien? votre amour va-t-il diminuant? Ah! cette question combien de fois ne vous l’ai-je pas posée, combien de fois n’en ai-je pas attendu la réponse, anxieux, craintif. La réponse ne se faisait guère attendre & la réponse était toujours reçue avec une joie sans cesse renouvelée. Il faut à tout prix que vous m’aimiez. Je vous en conjure dites-moi ce qui peut être un obstacle à votre amour; & je le ferai disparaître; posez comme conditions de votre tendresse, les choses les plus difficiles, d’avance, je les accepte. Que voulez-vous, Attala, je ne puis plus me passer de vous; vous êtes indispensable à ma joie, à ma fidélité, à ma vie. Je n’ose pas me représenter ce que serait mon existence, sans votre amour.

Chère Attala, Bien-Aimée, redites-moi sans cesse que vous m’aimez de plus en plus, que votre amour durera autant que votre vie; écrivez-moi une longue, longue lettre, toute imprégnée d’affection & de caresse. Attala chérie, pour vous faire plaisir, je vous écris un jour avant le terme que vous m’avez fixé; pour vous plaire, j’écris des plus longues lettres que je vous aie jamais adressées; en retour laissez-moi vous prier, vous supplier, au nom de votre amour, de m’écrire sans faute, pour lundi.

Vous savez que je suis très anxieux de savoir si cette soirée vous a beaucoup fatiguée, vous savez que si je ne reçois pas de lettre lundi, mon inquiétude serait sans bornes: Si vous m’aimez, écrivez-moi! Ni les visites, ni les sorties, ni même la fatigue ne devront vous empêcher d’écrire au moins un mot pour me tirer de l’affreuse angoisse dans laquelle je suis plongée & qui m’enlève tout courage, toute force; Si je ne reçois pas de lettre lundi, j’en conclurai que vous êtes malade, bien malade, et Dieu sait ce que je souffrirai! Ma toute petite Attala adorée, épargnez cette douleur, je vous en conjure; écrivez à votre pauvre Émery, qui ne pense qu’à vous, qui ne vit que pour votre tendresse. Ah! ils sont loins les essais d’indépendance que vous me reprochiez. Je confesse ma soumission entière, sans réserve; je dépends complètement de vous; je ne puis plus me passer de votre affection. Si vous vouliez vous venger, que la chose vous serait facile; mais vous ne le ferez pas; vous avez pardonné, voous êtes bonne & vous m’aimez. Et moi, mon Attala, je vous chéris de toutes mes forces, de toute mon âme; je vous désire de tout mon coeur; je me donne entièrement, sans réserve, à vous, ma petite reine, ma charmante souveraine. En retour, gardez-moi votre coeur, je vous en conjure; chargez-vous de mon bonheur; il est entre vos mains & il n’exige que votre tendresse. Oh! aimez-moi, aimez-moi, je vous en supplie. Chère Attala, n’oubliez pas votre Émery, chère Attala, priez beaucoup pour moi, chère Attala, pardonnez-moi & aimez-moi comme par le passé; quant à moi, mon amour ne connaît plus de bornes; et il ne connaîtra de repos que dans votre compagnie. Mon Dieu! mon Dieu, que c’est pénible de vivre loin de vous, sans entendre votre voix, sans contempler vos traits adorés. O! mon Attala, aimez, aimez bien tendrement

Votre Émery à vous seule








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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