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Lettre du 19 octobre 1901

Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala Mallette

Lettre du 19 octobre 1901



N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre:


[Premier folio de deux pages 20 x 26 cm]
Montréal, 19 octobre 1901
À Mademoiselle Attala Mallette Sainte Martine. Ma Bien chère Amie,

Je n’éprouve pas en vous écrivant aujourd’hui les douces émotions que me causent d’ordinaire quelques instants de conversation avec vous; et vous en saisissez la raison, j’en suis sûr.

S’il faut néanmoins vous la rappeler, cette raison, je n’ai aucune objection à vous dire qu’elle provient du retard inexcusable et inexcusé que vous avez mis à répondre à ma dernière lettre. Sans doute, ce retard n’est pas unique en son genre; le nombre de ses semblables est au contraire assez nombreux que j’aurais dû m’y accoutumer; mais ce qui est unique, c’est le concours de circonstances dans lequel il est arrivé

Rappelez-vous votre avant dernière messive dans laquelle vous me mandiez que vous n’étiez pas très bien, si peu bien que vous aviez failli vous évanouir, pendant la grande messe. Relisez ensuite ma dernière lettre vous exprimant mes angoisses atroces, mes inquiétudes cuisantes au sujet de votre santé, et se terminant par un appel désespéré à votre pitié à votre amour pour obtenir une lettre, du moins un «mot» le lundi suivant; et ce mot vous ne me l’avez envoyé que vendredi après-midi. Ce que j’ai souffert durant cet intervalle de lundi à vendredi, vous le savez; et vous deviez le deviner.

Eh! bien maintenant, osez dire qu’il vous a été absolument impossible de m’écrire une demi-page avant vendredi! Vous étiez bien fatiguée! et pourtant vous l’étiez encore davantage, le jour où vous m’avez écrit; et pourtant, moi aussi, je suis bien fatigué, quand je vous écris! Car sachez-le, le temps que j’emploie à vous écrire, ce n’est pas à mes heures d’études que je le dérobe; non, celles-là sont sacrées, - mais à mes heures de repos et d’un repos bien mérité, je vous jure. Pourtant, je ne m’en attribue aucun mérite; c’est chose si naturelle à mes yeux de me sacrifier pour vous, puisque je vous aime; de préférer votre contentement à mon repos, puisque je vous adore.

Décidément, nos deux coeurs ne comprennent pas l’amour de la même manière; nous n’avons pas les mêmes principes sur les obligations qu’imposent de vé[Deuxième folio de deux pages 20 x 26 cm]ritables sentiments d’affection.

J’avais bien tort, dites-vous, de m’alarmer ainsi. Qu’importe, puisque je souffrais & que vous pouviez me guérir par cinq lignes tracées de votre main. J’avais tort de m’alarmer, mais dites, était-ce bien à vous qu’il convenait de m’en faire le reproche, d’en profiter pour me faire pleurer. Et quoi, Attala, ces alarmes, quelque folles qu’elles aient été, ne devaient-elles pas vous toucher, n’étaient-elles pas la suprême expression de ma tendresse; de cette tendresse dont vous semblez faire peu de cas, parce que sans doute je vous l’ai trop prodiguée; ces inquiétudes, Attala, si vous m’aimiez vraiment, ce n’est pas avec un silence barbare, mais avec des caresses, avec un redoublement d’affection que vous les auriez tranquilisées. Je voudrais voir dans votre conduite, rien autre chose que de la négligence, mais j’y vois autre chose. Je vois que je ne suis pas aimé de vous comme je l’avais espéré; comme je le croyais. Oui, au début de cette année, mon programme était bien simple; il consistait à travailler de toutes mes forces, à me priver de toutes douceurs, à ne chercher mon repos dans aucune autre chose que dans un amour sincère, profond, inébranlable, empressé; et cet amour j’avais cru pouvoir le trouver en vous, cet amour, j’ai tout fait pour le mériter. J’en appelle à vous-même, Attala, m’avez-vous demandé quelque chose que je vous aie refusé? y a-t-il quelque chose que je croyais de nature à vous faire plaisir, sans que je vous l’aie donné? pouvais-je faire vraiment pour vous, plus que je n’ai fait. Et pourtant, je n’ai pu réussir à allumer dans votre âme, la tendresse que j’avais rêvé y voir, je travaillerai, comme je me l’étais proposé, mais je serai privé de la seule consolation que je m’étais réservée : votre amour sincère, inébranlable, empressé.

Ne vous récriez pas, ne protestez pas que vous êtes prête à tous les sacrifices pour me prouver votre amour; comment pourrais-je croire que votre affection est assez forte pour engendrer l’héroïsme, quand elle ne peut même pas produire l’accomplissement des premiers devoirs qu’exige une sincère amitié.

Des sacrifices, inutile de m’en offrir, je n’en ai pas à vous demander; les soins élémentaires que réclame l’amour, je vous les avais demandés, & vous les avez refusés à celui que vous prétendez aimer. Ah! vous m’appelez «enfant gâté»! Pas par vos délicates attentions, dans tous les cas! Je suis un «enfant gâté» parce que votre santé m’inquiète outre mesure! C’est une nouvelle forme sous laquelle se présente cette accusation tant de fois répétée: «Que j’aime trop, ceux que j’aime». Un peu de patience, je me corrigerai! un peu de temps encore, à Dieu aidant, j’aurai le triste courage de faire souffrir ceux qui m’aiment le plus, ceux que je prétendrai aimer.

J’aurais encore beaucoup à dire sur ce sujet; car votre récente conduite a fait mourir bien des illusions dans mon âme; mais je sens que je vais dire des choses désagréables, & je n’ai pas en[Troisième folio de deux pages 20 x 26 cm]core fait l’apprentissage de ce métier qui consiste à briser le coeur de ceux qu’on chérit; et je me tais.

Je me tais, mais sachez, Attala, que la blessure faite par votre conduite, est encore saignante; qu’elle est inconsolée, la douleur de votre oubli si inattendu, si injustifiable. Il faut que je m’arrête ici pour ce soir; il est bientôt une heure après minuit; et fidèle à ma promesse faite au début de ce mois, je dois aller communier pour vous demain matin, pour le rétablissement complet de votre santé. C’est que voyez-vous, je vous aime toujours, moi; c’est que mon amour sait se traduire par des actes, par des sacrifices, de véritables sacrifices.

O! Attala de mon âme, pourquoi donc ne m’aimez-vous pas comme je vous aime; pourquoi, pourquoi?

J’arrive justement de l’église; il me reste quelques minutes avant le cours, je les emploie à vous écrire. Il pleut à verse, il fait froid & cependant pour vous, je me suis levé à six heures et je me suis aventuré à travers l’orage. J’ai prié pour ma petite négligente, pour ma petite méchante, pour ma petite sans coeur que j’aime toujours avec la même ivresse, les mêmes transports. Et vous, ma bien-aimée, m’aimez-vous encore; m’avez-vous conservé une place dans votre petit coeur ou m’avez-vous oublié, depuis qu’il vous arrive parfois, de rencontrer par «hasard» vos anciens amis?

O! ma chérie, ne m’abandonnez pas; aimez-moi, aimez-moi encore et toujours!

Maintenant, laissez-moi vous dire que je compte vous aller voir jeudi, le 31 octobre, veille de la Toussaint: J’aime à croire que je vous trouverai chez vous et que vous ne serez pas chez votre modiste, vers les sept heures du soir. Pas n’est besoin de vous dire avec quelle impatience cette journée bénie est attendue: en est-il ainsi de vous? Pourtant, je ne suis pas sans me demander dans quels sentiments je vais vous trouver.

Votre amour est-il beaucoup diminué; pourrez-vous encore me jurer sincèrement que vous n’aimez toujours que moi, que vous m’aimerez toujours? Je le verrai bientôt, et j’ai hâte que ce bientôt soit maintenant.

Au revoir donc, petite méchante que j’adore; qu’il y a long d’ici à la Toussaint. Si au moins vous m’écriviez, mais vous êtes bien capable de passer tout ce temps sans m’écrire; au reste, faites comme bon vous semblera; seulement je me réserve le même droit; et si d’ici là vous ne trouvez pas le temps de m’écrire, je pourrai bien moi aussi, ne pas trouver le temps, de prendre les chars, le 31 octobre.

Bien, bien, je redeviens maussade. Au revoir, ma chère Attala, à bientôt.

Votre Émery comme toujours.








Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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