Lettre du 13 février 1901 | ||
Correspondance d'Émery Beaulieu à Attala MalletteLettre du 13 février 1901
N. B. Les lettres à folios multiples ont été reconstituées en tenant compte de leur position dans la liasse de papiers, de la couleur de l’encre, la dimension du papier et la suite dans le texte; l’ordre n’est pas toujours certain; aussi le début de chaque folio est clairement identifié, ainsi que sa place présumée dans la lettre: Premier folio de 4 pages lignées 13 x 20 cm
Montréal, 13 février, 1901
À Mademoiselle Attala MalletteMa chère Amie, Vous voulez une lettre pour samedi, charmante petite despote; mais songez que je n'ai reçu la vôtre que mardi; songez-vous que l'ouvrage me presse de toutes parts, et que j'ai bien d'autres choses à faire qu'à me plier à vos caprices... Voilà ce que je m'étais d'abord promis de vous répondre. Mais bientôt, en pensant que vous pourriez être désappointée, en ne recevant pas de mes nouvelles, à l'heure marquée par vous; que vous pourriez passer un mauvais dimanche à cause de moi, que peut-être l'on vous verrait pensive et soucieuse, songeant surtout, que vous m'aimez; j'ai cru qu'il me serait impossible de ne pas me rendre à votre demande, et je vous écris tout de suite. Seulement, il faudra que vous me répondiez, dès dimanche, et si plus tard, les examens m'empêchaient de vous écrire aussi vite que je le voudrais, il ne faudra pas m'en vouloir, ni en conclure que je vous ai oubliée. Ce soir, vous verrez peut-être sur «La Presse» un compte-rendu des noces d'argent de M. Sauvageau; je vous avertis qu'il est de votre serviteur; donc gardez-vous de le critiquer. J'ai assisté à la fête et je puis dire que l'on s'est assez bien amusé; seulement, le grand attrait de la soirée a été d'entendre parler de vous, soit par Madame Dumas, soit par ma cousine Éva, soit par mon oncle et ma tante. Vous savez qu'ils aiment tous beaucoup à taquiner, et je vous avoue que je ne détestais pas du tout à me faire dire que je vous aimais. Seulement, j'ai été grandement surpris d'apprendre que je me mariais dans deux ans. Sont-ils expéditifs, ces gens-là; qu'en pensez-vous? Certes, le mariage ne me fait pas peur; mais je crois pouvoir plaider non-coupable pour dans deux ans. Je serai alors à peine reçu avocat, et il faut songer à se faire une clientèle avant de songer à se faire un chez-soi; on est sans doute plein d'espérance en la protection divine, mais on n'attend pas des miracles du Ciel. C'était sans doute une manière détournée de me demander si je vous aimais & je n'ai pas essayé à déguiser mes sentiments à votre égard. Maintenant, je suis appelé à me prononcer sur une grave question, posée par vous dans votre dernière lettre: «Mon amour a-t-il augmenté, depuis que je vous connais». [deuxième folio ligné de 4 pages 13 x 20 cm]Je pourrais peut-être demander quelques jours pour prendre la chose en considération, tant elle est importante; je pourrais aussi vous renvoyer la même question et attendre votre réponse, avant de répondre moi-même. Mais tout cela serait inutile, attendu que mon opinion est formée dès maintenant & sans aucune hésitation je vous réponds: «Oui, ma bien aimée, mon amour pour vous n'a fait que s'accroître. Je ne vous avais jamais auparavant autant aimée que pendant notre voyage à Beauharnois; mais une fois de retour, pendant la dernière soirée, je vous aimais encore bien plus que durant l'après-midi. Et maintenant, je ne vous dirai pas que je pense à vous tout le temps; car vous savez que mes études prennent la plus grande partie des journées; mais je puis dire que dès qu'un moment de loisir m'est donné, c'est dans votre souvenir que je cherche mon repos; lorsque le soir, après une journée de labeur, j'attends le sommeil; alors j'aime surtout à repasser dans mon esprit les bonnes paroles que vous m'avez dites; et c'est toujours en pensant à vous que je m'endors. Vous me demandez où j'étais, à qui je pensais, pendant que vous m'écriviez ma dernière lettre. La réponse est facile: j'étais à ma chambre, étudiant mon code civil; ce que j'ai fait jusqu'à vers onze heures; puis, vaincu par la fatigue, je me suis couché, et j'ai, comme d'habitude pensé à vous. À cela, vous n'avez rien à redire, je suppose. Samedi prochain, je vais à Beauharnois; mon Dieu! que j'aimerais pouvoir me rendre à Ste Martine; mais, vous savez, les vieux parents vont beaucoup plaider pour me garder, attendu que je ne les ai vu que cinq minutes, la dernière fois. Cependant, qui sait? vous pouvez être assurée que seule une vraie impossibilité m'empêchera d'aller vous voir. Et si je puis avoir congé lundi gras, alors mes chances de vous voir, du moins lundi, seront augmentées. Je vous remercie beaucoup de m'avoir promis un «Ave» par jour; de mon côté je vous promets la même chose; et maintenant à la grâce de Dieu. Il est une heure moins quart; mais je ne veux pas me mettre au lit sans terminer cette lettre. Je ne veux plus que vous vous confondiez en excuses sur votre peu d'habitude à écrire; ce que je souhaite pouvoir dire, à chaque lettre reçue de vous, ce n'est pas: «Mon Dieu! qu'elle écrit bien!» mais «Mon Dieu! qu'elle m'aime bien!» Et maintenant. n'oubliez pas que vous me devez un portrait et un Ave par jour; n'oubliez pas que vous devez m'aimer davantage de jour en jour; n'oubliez pas que vous êtes la plus aimable, la plus délicieuse, la plus charmante, la plus attrayante, la plus séduisante, la plus enivrante jeune fille que je connaisse; n'oubliez pas enfin que je vous aime! Bonsoir, ma toute aimée; que les anges du ciel vous donnent leur plus beaux rêves; que votre sommeil soit léger, votre réveil joyeux, votre vie sans nuage, votre coeur sans ennui, votre âme sans tristesse, vos beaux yeux sans larmes; Bonne nuit: «En attendant, sur mes genoux?» Pensez à moi, priez pour moi, aimez-moi.
Émery
|