Mes racines / my roots

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Journal intime de 1922

Textes personnels recueillis datant de 1922




  • Description du Ledger full-scap en question: cahier full-scap ligné à couverture molle brune titré LEDGER; écrit à la plume, encre noire et dont il manque des pages au début, couvrant le période juste avant le 19 août 1921 au 25 juin 1922

  • Description d'un album de couverture noire rigide de 9 1/4 " par 7" de 2" d'épaisseur comprenant un grand nombre de petits documents qui y sont collés et un texte écrit à la plume en caractères d'imprimerie par Jeanne Beaulieu



Entrée dans son album:

TOUS NOS MEILLEURS SOUHAITS DE BONNE ANNÉE!!!
POUR: Mil neuf-cent-vingt-deux -
Jean Crevier Paul H. Hardy
Raymond Lanctôt Paul H. Hardy
Henri Loranger .



Entrées dans son Ledger full-scap:

8 janvier 1922

C'est étrange. Je me trouve toujours dans des situations fausses, lorsque je pourrais aimer! Marguerite me choisit pour sa confidente des pensées & attentions de Lionel & de Marvin que j'aimais avec elle, mais qui semblaient désirer mon absence. Madeleine ne fait que me répéter sa passion pour J. P.-R. qui est d'une amabilité extraordinaire pour moi, me prend de préférence pour compagnon de patin, me fait des confidences, m'écrit son amitié... et que sais-je encore? Que dois-je donc faire? Faut-il donc que je passe par-dessus Madeleine et jouisse tout bonnement de l'amitié qui s'offre à moi? Cela devrait être, mais quand j'aperçois Madeleine, tout se gâte... je me trouble, et j'hésite, enfin je me sens cruelle, injuste. Pourtant... dois-je être froide? Mais le repousser lui avec son coeur jeune & neuf, n'est-ce pas lui fair du mal? N'est-ce pas m'exposer à son mépris ou à sa colère? Je juge de la chose, comme si j'étais à sa place. Il semble m'accorder sa confiance: il m'a dit que la note suivante avait été mise sur son bulletin: Nous ne pouvons nous expliquer le changement de Jean vis-à-vis de l'autorité; il m'a dit qu'il était fatigué d'aller au Collège de Montréal! que ses camarades, sauf Gaston & Maurice, l'agaçaient, qu'il ne voulait pas aller au grand Séminaire, qu'enfin lui ce n'était pas de son goût de parler toujours du bon Dieu (qu'il ne serait pas prêtre donc). Je l'ai grondé, & je derai le faire encore, il me semble que c'est mon devoir, p.c.q. je peux faire quelque chose. Eh! bien moi si j'étais rejetée d'une personne à laquelle je me serais confiée de la sorte, je me vengerais terriblement. Et, puis je ne crois pas qu'il l'aime. Un moment, il s'est écrié avec un ton fort étrange: «Cette chère Madeleine!» C'était fort significatif; elle méritait de la pitié, cette enfant!



9 janvier 1922

Oui vraiment les jeunes gens ont entrepris de me mystifier! Voilà Henri Loranger qui me téléphone tout-à-coup sans autre préambule, pour aller patiner avec lui, samedi dernier: je suis restée confondue. N'ayant pas de raison pour refuser, j'acceptai et il vint me prendre ici à la maison. Je n'étais pas au bout de mes surprises: après avoir patiné assez souvent avec lui, il vint me reconduire. «Allez-vous souvent aux vues? - Rarement, je n'aime pas cela. - «Comment? - ... Est-ce que vous êtes déjà allée au x (restaurant quelconque fort à la mode). - Non, mais j'en ai entendu parler... c'est très chic parait-il, et tout-à-fait «cosy and warm». Est-ce que cela vous plairait d'y aller... demain après-midi par exemple? - Mais M. Loranger, songez ... (à Madeleine C.M.! Mon Dieu que dirait-elle?) - Mais, quoi? - Vous me prenez à court, ma foi, enfin soit! j'accepte avec plaisir... si je ne vais pas en sky... téléphonez-moi, demain! -

Samedi matin, je demande la permission à papa. En me regardant drôlement, il me dit:«Henri L., le fils du juge, non, je te défend absolument de sortir avec lui... c'est un petit voyou.» Rome avait parlé... il fallait bien que la cause fut terminée. Et lorsque, mon étrange compagnon me téléphona, je refusai prétendant que papa «me défendait de sortir avec les jeunes gens». Était-ce assez sot, assez niais? Une jeune fille de 18 ans!

Encore un autre, me dis-je, qui m'en voudra! Et ne voilà-t-il pas qu'il me téléphone de nouveau, ce soir, pour aller au rond avec moi... j'acceptai...

Quel dédale! J'y suis tout-à-fait égarée! Mais quoi! lui qui fait la cour à Madeleine depuis juillet, lui dont Madeleine raffole, c'est lui qui fait cela! S'il fallait qu'elle le sache! Et elle saura, mais alors...! Qui et que croire maintenant? ... Est-ce cela un jeune homme sérieux? Il prétend et avec raison, qu'à son âge, on ne peut être en amour, c'est inutile et sot, a-t-il déclaré. Mais pourquoi donc, essayer de tromper les jeunes filles? .... Il prétend que le contraste est saisissant entre moi «si posée et sérieuse» et les autres jeunes filles! Il semblait presque sincère en me disant cela! - Il aime la musique classique. «Vous ne jouez pas de populaire? Enfin en voilà une, au moins, s'écria-t-il? - Il prétend parler souvent de moi avec Roger... où donc veut-il en venir? ... Pourquoi me choisit-il tout-à-coup pour patiner? ... Pourquoi.... ? Ah! quel labyrinthe!!! Ce sont mes yeux, suivant Roger, qui l'auraient d'abord séduit.... De fait, je m'étais bien proposé de l'enjôler, les 1ères fois que je l'ai rencontré... j'ai trop réussi, je crois.... En tout cas, il ne faut pas que je m'y laisse prendre.... aussi vivent mes études!



7 février 1922

Que j'aime le sky! C'était enchanteur, ce soir! La lune, pas encore pleine, les étoiles parsemées dans tout le firmament sur un ciel d'un bleu sombre, la neige molle et immaculée, m'enivraient de leur beauté froide mais si chaude en même temps! Quand j'étais au sommet de la petite colline que j'essayais en vain de descendre tout entière, debout, là seul, entre la blanche parure de la terre et le manteau sombre et irradié du ciel, oh! je ne me croyais plus ici-bas! Je n'étais plus moi, l'ambitieuse qui veut arriver absolument, l'égoïste qui n'ose pas aimer de peur d'être trompée, la cruelle qui veut se venger du dédain apparent des autres en essayant de les enjôler et cela pour cette seule satisfaction, l'insensée qui aime, du moins qui voudrait les attentions d'un jeune homme dont plus d'un acte ferait rougir, ... non, j'étais une autre meilleure que moi, détachée d'ici-bas, et éprise de cette seule beauté idéale, véritable empreinte de Dieu, et de son original sublime. Ah! quelle pure, sainte & parfaite jouissance.

J'ai vu d'Esneval avec une jeune fille; ils descendaient ensemble, «two in one»; lui, la tenait par la taille, mais la côte n'en était pas à la moitié, qu'il l'avait enlacée dans ses bras, ... puis en bas, lui, si bon skieur, tombait... (je ne puis croire que c'était involontaire) entraînant la jeune fille qui tombait assise sur lui.... C'était atroce.... et durant toute une veillée.... J'ai eu honte de moi.... vraiment je ne sais pas si je n'eux pas aimé me trouver à sa place... ! Quelle vilaine bête, nous avons en nous!!



2 avril 1922

Tout est fini!! Sur son désir, j'étais parvenue à force d'instances à obtenir de papa la permission de le recevoir à la maison. Vendredi matin, le 24 mars, je rencontre Roger & Henri: «Dites donc, est-ce que cela vous plairait de monter à la maison, demain soir. - Avec plaisir, répondit Henri; Roger accepta aussi. J'exultais: Yvette était ravie de l'arrangement. Madeleine malgré son rhume, ferait l'impossible pr passer la veillée avec Gérard que je demanderai pour elle. - Puis mon enthousiasme tomba.... Au souper, téléphone Henri: «Est-ce bien vrai que vous m'avez demandé pour demain et non pour ce soir? - Mais oui. - Je regrette beaucoup, mais voyez-vous, j'avais compris qu'il s'agissait de ce soir, et j'ai brisé un engagement avec mon ami, le remettant à demain. - Rappellez-le et changez les choses, c'est simple. - Écoutez, c'est impossible. - Impossible? Allons donc! Roger avait bien deux engagements et les a brisés pour venir. - Suis-je dans le même cas que Roger? - (quelle gaffe) non, vraiment, c'est impossible. Voyez-vous si je commence à sacrifier mes amis pour les j.f., on va vite sur cette pente-là. - Essayez toujours. - Très-bien.

Un 1/4 heure après, il rappelle! «C"est impossible! (J'enrageais! Avoir tant tant insisté & aboutir à cela! S'être fait dire qu'il désirait passer une veillée à causer & m'entendre jouer, et ne pouvoir obtenir le petit sacrifice d'une partie de cartes chez Roland Rinfret! Ah! mais... ) Vous voyez! Je me suis hâté de vous avertir, afin que vous puissiez me trouver un remplaçant, ce sera facile. - Ah! évidemment (sur un ton empressé). En tout cas, sachez que vous n'êtes pas gentil, mais pas du tout. - Sans rancune. - Oui. - C'est donc ça le monde: ????

La réunion du samedi n'a pas eu lieu, j'ai conté blagues sur blagues, mais qu'importe. Quelle déception! D'un autre côté, son refus a mis les choses au point. Je me serais bientôt imaginé qu'il m'aimait et que je l'aimais, mais... quelle chute.

Je le revis lundi matin. Il vint me reconduire de Bleury au Couvent comme d'habitude, en causant, comme si rien n'était survenu. - Je ne l'ai pas revu de la semaine...

J'espérais un téléphone... j'ai espéré vendredi soir, samedi soir.... et ce soir encore... mais en vain. Adieu! mon rêve!! Pour une fois, je m'étais crue un peu gentille.... évidemment je ne le suis pas... Ah! sentir un peu de sympathie du sexe mâle.... Quelle douce sensation.... non je me trompe.... quel sujet d'excitation pour moi, une jeune fille sérieuse & posée.... comme pr les autres....

Deux mois seulement dans toute ma vie d'étudiante, je me serai crue un peu aimée... deux mois sur onze ans, c'est à rendre orgueilleuse... Pauvre Jeanne!!!



13 mai 1922

Nous sommes encore amis, Henri & moi. Aux yeux du public, rien n'est changé entre nous... mais moi, je le sens de jour en jour devenir indifférent. Bientôt il ne sera plus que comme Jean-Claude avec cette différence que je ne me sentiai jamais à l'aise, sans arrière-pensée avec lui, parce que j'en avais espéré quelque chose. Jean-Claude, c'est & ce sera un camarade; lui, ne peut rester, ni être classé sur un terrain neutre: j'ai peur qu'il me déteste. Quant à moi, je le mépriserai sans doute, certain jour.... Il est venu aujourd'hui jouer au tennis: il joue bien, mais il lui faut gagner, c'est visible... Son teint hâle, ses grands yeux cernés vraiment beaux, ses joues creuses, ses lèvres minces & plissées, lui donnent un air étrange: ou il n'est pas bon & désire nous faire mal, soit par le coeur, soit par l'honneur, ou il est malade.... pourtant pourquoi Roger est-il son ami? .... Je lui ai dit que désormais, je pouvais sortir avec les jeunes gens: mais il ne me redemandera pas, ou s'il le fait, ce sera pour rester dans le cercle d'Outremont, car je crois qu'il aime la popularité... je crois même que c'est là tout le secret de son apparente amitié avec moi.... Quelle chose, quel dilemne que la vie! .... Il est une chose que je regretterai pourtant... c'est de lui avoir téléphoné le jour de Pâques, pour lui demander s'il était choqué: ns ns étions quittés la veille, au téléphone en si mauvais termes... Je n'aurais jamais dû faire cela, oh! jamais!! Si tout-à-coup, c'était depuis... qu'il aurait commencer à me détester.... non, mon Dieu! pas le mépris, oh! je vous en supplie!



18 mai 1922

Eh! bien, je suis sortie avec Henri L. Moi qui pendant si longtemps espérais cet heureux moment, j'en ai été réduite à accepter par pure convenance, pour me préserver de la prétendue renommée de hauteur dédaigneuse dont on m'honore si facilement, j'ai pensé jusqu'au dernier moment que le bon Dieu viendrait à mon secours, en faisant pleuvoir, mais non!.... Cela m'a fait du bien de sortir avec lui... je souhaite qu'il en sera de même pour ma composition. Il est gentil & m'a certifié que toutes les jeunes filles qui avaient été ses amies l'étaient encore... C'est consolant pour moi... Il était chic... j'aime sa tête... elle a quelque chose de très caractéristique... Je commence à le croire sérieux... il blague pour cacher ses sentiments bien qu'il prétende aimer toutes, à peu près également, sauf la petite Américaine...!!



19 juin 1922

«Première? Moi? ... Mais papa sera fou de joie!» Ainsi fut accueillie cette fameuse nouvelle que j'allais avoir le prix de distinction dans les études. Première grâce au travail, à la prière, à la confiance en Dieu surtout! Première! Au moins, ainsi, je rendrai à mes parents la millième partie de ce qu'ils ont fait pour moi! Première! Merci, mon Dieu! Merci de cette faveur du succès que je n'espérais plus! Merci encore de m'avoir laissé mon calme, de n'avoir pas permis que je fus grisée par l'orgueil! Je vous demande une seule chose, mon Dieu, souffrez que mon succès ne serve que au bonheur & au bien des miens, et de mon entourage... Première!!! Mon Dieu!!!



22 juin 1922

Danse chez les Gonthier: je me ferai belle; d'Esneval y sera pour sûr. «Que dis-tu, Lucile. Violette Emona va chez Jeanne.» «Oui, elle vient de me téléphoner: j'enrage et j'ai presq'envie de n'y pas aller, quant à demeurer dans un coin...» «Allons donc! - À 9 heures, nous nous sommes rencontrées, mais personne encore n'était arrivé chez les Gonthier; après une petite marche, une longue toilette, nous sommes enfin entrées au salon. Je causai d'abord avec Jean-Paul Senez, nous sommes bons amis, mais chose étrange, il ne me demanda pas pour danser. Pendant ce temps, Lucile assise près de Violette causait avec d'Esneval. Mais les deux jeunes filles se taquinaient d'une façon plutôt aigre-douce. Mais Lucile, triomphante, l'emporta. Ils dansèrent & causèrent seul-à-seul pendant un assez long temps. Violette se rabattit sur M. Martineau, ce jeune homme si extraordinaire tant prisé par les Dames du Sacré-Coeur à cause de ses conférences pieuses... etc. Et moi, je me trouvais avec plaisir avec Paul Gonthier: il est sérieux, ne se fait pas de bile pour rien, s'amuse avec les jeunes filles, mais n'en pense pas plus, car enfin, il n'est ni pressé, ni prêt à s'établir, en somme, il est gentil, courtois, si bien élevé... mais si petit! Mais voilà tout-à-coup, qu'après une danse, nous nous sommes trouvés arrêtés près de d'Esneval et de Violette: Paul fut appelé, Violette fut priée par un Monsieur pour une danse, je demeurai avec le Mouron Rouge. Nous dansons: je manque un pas. «Excusez-moi, je vous prie, dis-je.» - «Pourquoi... ce n'est pas un acte professionnel que vous faites.» - Assis, nous continuons à causer. - «Ainsi donc, vous faites une étude d'âme. - «Oui, & je vous assure que j'ai le sujet (Violette) pour cela... une petite romanesque. - Oui? ... mais aussi songez donc, c'est la 1ère fois que vous la rencontrez & vous vous donnez à elle pendant une grande partie de la soirée. - Oh! mais je la connaissais avant aujourd'hui: l'an dernier, chez les Duchastel, elle m'a raconté toute son histoire!. - Tout cela dit d'un ton suprêmement dédaigneux... - «Mais enfin, dites-moi, méprisez-vous donc toutes les jeunes filles.» - Mépriser, c'est beaucoup dire, je les mets toutes sur le même pied d'égalité!» - C'est mépriser cela... mais pourtant, c'est impossible. Voyons, vous ne pouvez pas estimer de la même façon vos petites «flirts» qui ne se tiennent plus de joie en vous voyant, et une autre jeune fille enfin... (et, devant son air moqueur) oh! je ne parle pas pour moi. - Estimer, je n'estime personne, toutes les jeunes filles me sont indifférentes... la seule différence que je fais entre elles est celle-ci: telle ou telle me plaît plus ou moins suivant mon humeur... Si je suis triste, je détesterai presque celle avec qui j'ai passé la journée précédente... puis après, laissé seul, je n'ai de pensée pour aucune. - J'ai peine à croire cela, oui vraiment. - Assez longtemps après, il était avec Violette, je lui portai des gâteaux: «Ah! pendant que vous êtes ici, Mlle, me permettez-vous d'aller vous reconduire. - Surprise, surtout d'une telle offre devant Violette, je répondis: «Mais avec plaisir! - Puis, lorsqu'il fut seul, sans le regarder presque, d'un seul trait, je dis: «Je n'ai pas de gloire à tirer de votre politesse, je crois, vous souvient-il de m'avoir déjà dit que lorsqu'arrivait l'heure du départ, vous faisiez bon visage à celles qui demeuraient près. - Détaché: «Ah! s'il vous plaît de l'entendre ainsi, libre à vous, je n'ai que l'embarras du choix... Nous sommes partis vers 3 heures, ensemble. Je ne peux nier mon émotion en passant par la porte d'arrière par une profonde obscurité... Non! je ne puis croire qu'il ne puisse pas toujours se bien conduire maintenant... cependant il est je crois certaines incartades dans sa vie, lui qui semble si blasé et n'a d'autre but semble-t-il que de jouer comme un professionnel sans l'être!!



24 juin 1922

Mademoiselle Beaulieu - vous prie d'assister - à une partie de tennis suivie de danse - le samedi, vingt-quatre juin 1922 - Invitations imprimées! Oh! là! là! Roger, Jean-Claude & Alain en furent complètement bouleversés!

La fête, à demi-réussie fut pour moi une vraie corvée. La chaleur étant accablante, le tennis & même la danse avaient peu d'attraits. - De plus, la pluie torrentielle qui nous avait tant angoissés avait trempé la terre d'une façon extraordinaire, en sorte que le goûter sur l'herbe demandait une attention soutenue pour ne pas trop se salir robes & souliers. Les gens se connaissaient à peine, j'avais fait beaucoup d'invitations de gens que je n'avais vu qu'une ou deux fois, car enfin il faut bien étendre mes relations. Enfin, la vie, l'animation en furent absentes jusqu'à l'arrivée impromptue de Paul Dufresne & M. Simèse, (grand jeune homme, drôle comme un singe, moqueur, sérieux, courtois, gentilhomme comme son ami d'ailleurs). -

Tous m'assurèrent que mon «Garden Party» avait été parfaitement réussi, & qu'on s'y était bien amusé. Showing!! Cette fête n'a été que cela! Et quoi, ce serait ridicule de dire que dans une réunion semblable, l'on a pu jouir! Donc, l'on a joui! De l'effet! De la surprise, de l'étonnement! Voilà tout ce que le monde demande! Voilà ce que je leur ai donné le 24 juin 1922. -

Mon Dieu! que l'on est bien loin des bons jours où l'on s'amusait sans arrière-pensée, sans soucis de ses toilettes & de ses paroles trop franches! Que l'on est loin du naturel, de la simplicité! Est-ce que cette fête a été la séparation entre cet heureux temps & ma vie de fille du monde! Que ce sera fade, alors, Seigneur, permettez que je jouisse un peu, songez que moi depuis que j'ai conscience de ma personnalité, je n'ai fait que travailler, travailler sans cesse en repoussant au loin toute jouissance qui aurait pu me distraire de mes études.

Henri Loranger a été gentil. Aliette me décourage avec sa cigarette, elle avait l'air d'une fille de café... pourtant, je l'aime. Paul Dufresne était enchanté, surtout après avoir appris qu'il avait été invité... et par écrit.



25 juin 1922

Je suis allée en automobile avec Marguerite. Moi, je n'ai guère voyagé autour de Montréal & j'ignore totalement toutes les places environnantes. Donc, il était près de 4.30 hrs, lorsque tout-à-coup, l'auto s'arrête: «Nous voilà à St Paul l'Ermite!» St Paul l'E. chez les Morin, mais nous n'allons pas descendre! Songez, M. Beauchamp, je suis une jeune fille, une étrangère!... M. Morin me déteste!» Et pourtant nous sommes entrés... M. Beauchamp d'un air de conquérant: « Jos, je te présente Mlle Beaulieu, c'est la fille d'Émery.» - Un bonjour Mlle, sec & glacial au possible, aurait foudroyé sur place tout autre que moi... mais j'y étais préparée! Jean & Paul s'amenèrent; nous avons joué au tennis, gaieté, pris des photographies... J'ai vraiment joui de mon après-midi. C'était si peu ordinaire! Songez donc, chez les Morin, entre un père qui nous voudrait dévorer, semble-t-il, & des fils que l'on trouve de son goût! Chez M. Morin, chez cet h. qui défend à ses fils toute sortie avec jeunes filles, toute causerie, tout salut même! Oh! combien j'aurais aimé souper avec eux! C'est étrange comme parfois, j'aime me sentir écrasée par les autres!









Jacques Beaulieu
beajac@videotron
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