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Excursion à L'Assomption

Les évènements du 15 juillet 1883 à L'Assomption

MADAME DE LORIMIER

Près de quatre cents Montréalais et Montréalaises ont pris part, hier, à la démonstration de L’Assomption, que tous les journaux avaient annoncée. Ces personnes s’embarquaient à sept heures, hier matin, sur le Terrebonne, avec les membres du comité de la souscription de Lorimier. Elles arrivaient à destination quatre heures plus tard, après un voyage agréable, mais qu’on a trouvé un peu long, bien qu’il y eût à bord une société distinguée, où les dames figuraient pour le tiers environ. On avait dû laisser le Terrebonne au bout de l’Isle, et se transborder sur le Rivière du Loup, un bateau minuscule, afin de pouvoir remonter le cours de la rivière l’Assomption, qui est vraiment charmante, mais qui manque de profondeur.

Au village, on était attendu par la population, qui couvrit le quai et la rue avoisinante, et qui accueillit les visiteurs avec les marques de la plus vive sympathie.

Il s’agissait, comme tout le monde le sait, d’aller offrir un témoignage de respect et de reconnaissance à la veuve de Chevalier de Lorimier, au nom de la nationalité canadienne-française, et la paroisse de l’Assomption voulait montrer combien elle s’associe au mouvement et s’en trouve honorée pour une bonne part, puisqu’elle est la patrie de la famille de Lorimier. On fait bien les choses à l’Assomption, et tout ce qui pouvait être fait l’a été.

L’arrivée du bateau fut saluée par une salve d’artillerie. Sur le quai il y avait un très bel arc de verdure avec force drapeaux, la plupart tricolores, comme ceux qu’on voyait flotter sur les édifices et sur quelques résidences privées.

Le bon et digne curé Dorval avait eu la condescendance de retarder l’heure de la grand’messe, et les citadins, escortés des paroissiens, se rendirent aussitôt à l’église, où on leur avait réservé les meilleurs places. On eut du beau chant, de la belle musique, avec une touchante allocution de bienvenue de la bouche de monsieur le curé.

L’heure des vêpres fut avancée comme celle de la messe avait été reculée, afin que chacun pût assister à la séance publique qui devait commencer à trois heures.

Madame de Lorimier n’était pas assez bien pour assister à cette séance. En conséquence, les membres du comité se rendirent à deux heures chez elle, où ils lui présentèrent un chèque de mille piastres, produit de la plus grande partie de la souscription, avec l’adresse suivante, qui fut lue par M. David:
À Mme Thomas Chevalier de Lorimier et à ses enfants.

Thomas Chevalier de Lorimier, mourant pour la liberté de son pays, avait confié sa mémoire et ses enfants à son épouse et à ses compatriotes.

Quarante-quatre années de deuil et de dévouement démontrent que sa confiance en vous était bien placée. Vous avez dignement porté son nom et fidèlement exécuté ses dernières volontés.

À la nation incombait le devoir sacré de faire sa part, d’acquitter la dette immense qu’elle a contractée envers ceux qui sont morts pour lui donner la liberté dont elle jouit maintenant. «O mes compatriotes, avait dit de Lorimier, je meurs pour vous, pour votre pays; j’espère que ma mort vous sera utile.»

Oui, sa mort nous a été utile, elle a appris à respecter une nation capable de produire de pareils dévouements. Elle a montré que sur les échafauds comme sur les champs de bataille, nous savions mourir pour nos droits et nos libertés.

La mort de votre époux, madame, a été celle d’un héros. Ses dernières paroles mériteraient d’être inscrites sur nos monuments et nos édifices publics; car jamais leçons plus éloquentes de patriotisme ne furent données à un peuple.

Oh! madame, il faut lire les pages qui contiennent ses dernières pensées pour apprécier la grandeur de la perte que vous avez faite, et les souffrances que vous avez si généreusement supportées.

Ce que nous vous offrons est peu de chose pour tant de sacrifices, mais au moins ce sera pour vous, madame et mesdemoiselles, la preuve que la nation s’est souvenue enfin de celui que vous avez tant pleuré.

Puisse notre modeste offrande être une consolation pour vous et un encouragement pour tous ceux qui se dévouent à la patrie.

Recevez, madame et mesdemoiselles, les voeux sincères que nous formons pour votre bonheur.

L. O. DAVID
Président du comité,
LOUIS FRÉCHETTE,
Vice-président,
H. BEAUGRAND,
Secrétaire.

Rien ne saurait peindre l’émotion de la vénérable dame pendant cette cérémonie. Elle réussit à dominer cette émotion cependant, et se levant de son fauteuil de malade, elle répondit en ces termes:

- Je vous remercie, messieurs, en mon nom et au nom de mes enfants. Je n’ai pas d’expressions pour vous dire ce que je ressens, mais vous devez le comprendre. Je ne pourrais pas vivre assez longtemps pour reconnaître ce que vous faites pour moi, pour la mémoire de mon mari surtout. Oui, je vous remercie de tout mon coeur, car ce que vous faites prouve que vous appréciez ce que mon infortuné mari a fait pour la liberté de son pays.

Elle prononça ces paroles d’une voix ferme et avec un accent énergique. Mais cet effort avait épuisé ses forces, et il fut suivi d’une véritable défaillance, où la pauvre femme perdit entièrement connaissance.

Depuis que le mouvement qui a eu son couronnement hier est commencé, madame de Lorimier est très impressionnée par les souvenirs des douloureux évènements de 1838, qui lui sont revenus au coeur, aussi vivaces qu’au lendemain de ces jours néfastes, malgré l’intervalle de plus de quarante ans que la noble veuve a passés dans la retraite et l’oubli, fidèle à la mémoire du héros dont elle fut séparée d’une manière si tragique. À son âge – madame de Lorimier a maintenant soixante-dix ans – on comprend tout ce qu’un pareil retour sur le passé et une manifestation éclatante comme celle d’hier ont d’intense comme impression, et personne ne s’étonnera de ce qui arrive.

Les chagrins et toute cette longue vie de deuil ne l’ont pas trop vieillie, du reste. Elle ne paraît pas son âge. C’est une femme d’extérieur distingué, et dont le caractère élevé répond aux apparences physiques. Elle appartenait à l’une de nos bonnes familles et reçut une éducation soignée. On conçoit tout ce qu’a dû avoir d’affreux pour elle, dans ces conditions, le sort qui lui échut en partage, par la mort de son mari sur l’échafaud et ce qui s’en est suivi. Elle restait, elle, veuve d’un supplicié, d’un martyr, jeune encore, avec deux petits enfants, deux petites filles, et presque sans ressources. Le gouvernement avait confisqué et vendu les biens de son mari, qui était à l’aise. Elle a vécu depuis lors dans un isolement complet et dans une gêne voisine de la misère, occupant une modeste habitation du village de l’Assomption, avec ses deux filles, qui ne sont pas mariées, et qui sont aujourd’hui de vieilles demoiselles d’environ cinquante ans, les fidèles compagnes de sa triste vie. Cette pauvre famille, débris vivant du drame national de 37-38, jouit, à l’Assomption, du respect et de la vénération générales.

Après la présentation de l’adresse et du cadeau, eut lieu la séance publique, dans la nouvelle salle de réunion, construite récemment par le Collège, à l’occasion du cinquantenaire. Cette salle, bâtie en amphithéâtre, est très vaste, plus vaste et mieux disposée que celle du Gésu. Elle ferait honneur à une grande ville. Les messieurs du collège l’avaient mise généreusement à la disposition des organisateurs hier, et vers trois heures, une foule d’environ mille personnes s’y réunissait. Comme les places se payaient, ce chiffre indique assez quel intérêt la population prenait à la fête.

M. l’abbé Dorval, curé, présidait, ayant à sa droite l’honorable J. L. Beaudry, maire de Montréal, et à sa gauche M. Marion, représentant du comté.

M. Oscar Archambeault, maire du village, ouvrit la séance, après que la musique de l’Harmonie, qui accompagnait les excursionnistes, sous la conduite de M. Hardy, eût fait entendre un morceau. M. Archambeault rendit un chaleureux témoignage à la mémoire de Chevalier de Lorimier comme aux nobles qualités de sa veuve et de ses filles.

M. L. O. David, à qui revient pour la plus grande partie le mérite de toute cette démonstration, prononça ensuite un discours plein de patriotisme et de généreux sentiments, qui fut applaudi à maintes reprises.

M. Beaugrand fut aussi très applaudi.

M. Fréchette récita avec son talent ordinaire une pièce de vers composée pour la circonstance sur Notre Histoire.

M. le maire Beaudry, qui représentait les honorables MM. Mousseau et Taillon, trouva aussi des accents très patriotiques, ainsi que M. le Dr Fortier.

Chaque orateur évoqua, en termes émus, les souvenirs de cette grande épopée de 1837-38, qui a produit de si grands résultats.

Il y eut dans les intervalles musique et chant. M. Alfred DeSève joua sur le violon les Variations du Carnaval de Venise. Mlle Pelletier chanta l’air des Bijoux, accompagnée au piano par madame Saint-Pierre. Cette jeune artiste est déjà au rang de nos cantatrices, et son succès d’hier a dû impressionner. Elle a été applaudie et rappelée à outrance.

M. H. C. Saint-Pierre, qui avait chanté le Salutaris Hostia à l’offertoire, pendant la grand’messe, donna aussi un morceau de chant qui fut très goûté.

Tout cela, discours, chant, musique, avait duré près de trois heures, et la foule – avec la musique de l’Harmonie en tête – prit aussitôt le chemin du quai, où les visiteurs s’embarquèrent à bord du Le Rivière du Loup, qui se mit en mouvement au milieu des acclamations échangées de part et d’autre.

Chevalier de Lorimier, exerçait la profession de notaire à l’Assomption. Il jouissait d’une grande considération dans cette partie du district. C’était un personnage en vue. Il prit une part active à l’insurrection, et devint l’un des membres les plus actifs du Club des Fils de la Liberté. Il fut arrêté, jugé et pendu avec quatre autres victimes de 37-38 en février 1839.

Il y eut trois de ces exécutions en tout. La première, celle de Cardinal et Duqu [sic] eut lieu le 21 décembre 1838. Les deux autres, de cinq condamnés chacune, eurent lieu dans le mois de février suivant. Elles comprenaient Chevalier de Lorimier, Narbonne, Hindelang, Nicholas Hamelin (ces trois derniers étaient des Français), de Couagne, les deux frères Sanguinet, Daulnais et Robert.

L’échafaud fut dressé chaque fois au-dessus de la grande porte du mur d’enceinte de la prison actuelle. On le mettait en vue afin d’inspirer plus de terreur à la population. Il y avait aussi cet avantage que les autres prisonniers politiques, logés au quatrième étage, sur le devant de la prison, pouvaient assister à la mort de leurs compagnons. C’est ainsi que Félix Pontré, qui était à l’Assomption hier et dont l’apparition à la séance fut saluée par les applaudissements de toute la salle, put voir tomber les douze victimes.

Poutré à soixante-neuf ans aujourd’hui. Il est un des rares survivants de ce groupe de rebelles qui furent arrêtés et condamnés pour la plupart à la déportation. Il ne reste guère, à part lui, que MM. Prieur, Rapin et Lepailleur, qui ont tous trois mené pendant sept ans, en Australie, la vie atroce des forçats.

Madame Ambroise Sanguinet a aussi survécu, comme madame de Lorimier. Elle demeure actuellement à Saint-Philippe chez un de ses parents. Les Sanguinet qui possédaient de grands biens, virent ces biens confisqués par le gouvernement aussitôt après leur condamnation, de sorte que la veuve d’Ambroise est restée presqu’aussi pauvre que la veuve de Chevalier de Lorimier.

La Minerve, lundi 16 juillet 1883, page 3.



L'excursion à L'Assomption

Hier a eu lieu l'excursion organisée au profit de la famille de Lorimier.

Le vapeur Terrebonne, nolisé pour la circonstance, laissa à 7 ½ a. m. le quai de la compagnie Richelieu au son de la musique de l’Harmonie.

À bord il y avait foule, parmi laquelle on remarquait M. le maire Beaudry, Son honneur le juge Mathieu, MM. Fréchette, Desève, L. O. David, H. Beaugrand, Chevalier, de Martigny, Pelletier, St Pierre, avec leurs dames, etc.

Il était 11 heures lorsque le bateau toucha le quai de l’Assomption.

Tous les habitants de l’endroit étaient accourus au-devant des excursionistes, et l’on remarquait au débarcadère un superbe arc de triomphe érigé par les jeunes gens du village.

Le drapeau français flottait sur plusieurs édifices.

Les touristes ont pu asister à la messe qui avait été retardée pour eux.

À trois heures on a présenté à Madame de Lorimier une adresse accompagnée d’un chèque au montant de mille dollars, produit des différentes souscriptions faites par tout le pays.

La scène qui a eu lieu lors de la présentation de cette adresse est indescriptible.

M. L. O. David, chargé de lire l’adresse, n’a pu le faire, empêché qu’il était par l’émotion, et quand M. Beaugrand, remplaça M. David et se fit l’interprète de la foule venue pour témoigner sa gratitude à la veuve du grand patriote mort pour la liberté, tout le monde pleurait.

Voici l’adresse:
À Mme Thomas Chevalier de Lorimier et à ses enfants.

Thomas Chevalier de Lorimier, mourant pour la liberté de son pays, avait confié sa mémoire et ses enfants à son épouse et à ses compatriotes.

Quarante-quatre années de deuil et de dévouement démontrent que sa confiance en vous était bien placée. Vous avez dignement porté son nom et fidèlement exécuté ses dernières volontés.

À la nation incombait le devoir sacré de faire sa part, d’acquitter la dette immense qu’elle a contractée envers ceux qui sont morts pour lui donner la liberté dont elle jouit maintenant. «O mes compatriotes, avait dit de Lorimier, je meurs pour vous, pour votre pays; j’espère que ma mort vous sera utile.»

Oui, sa mort nous a été utile, elle a appris à respecter une nation capable de produire de pareils dévouements. Elle a montré que sur les échafauds comme sur les champs de bataille, nous savions mourir pour nos droits et nos libertés.

La mort de votre époux, madame, a été celle d’un héros. Ses dernières paroles mériteraient d’être inscrites sur nos monuments et nos édifices publics; car jamais leçons plus éloquentes de patriotisme ne furent données à un peuple.

Oh! madame, il faut lire les pages qui contiennent ses dernières pensées pour apprécier la grandeur de la perte que vous avez faite, et les souffrances que vous avez si généreusement supportées.

Ce que nous vous offrons est peu de chose pour tant de sacrifices, mais au moins ce sera pour vous, madame et mesdemoiselles, la preuve que la nation s’est souvenue enfin de celui que vous avez tant pleuré.

Puisse notre modeste offrande être une consolation pour vous et un encouragement pour tous ceux qui se dévouent à la patrie.

Recevez, madame et mesdemoiselles, les voeux sincères que nous formons pour votre bonheur.

L. O. DAVID
Président du comité,
LOUIS FRÉCHETTE,
Vice-président,
H. BEAUGRAND,
Secrétaire.

Durant la lecture de l’adresse Mme de Lorimier était au comble de l’émotion. Cependant elle put dompter cette émotion, et prononça d’une voix grave ces paroles:

- «Je vous remercie, messieurs, en mon nom et au nom de mes enfants. Les paroles me manquent pour vous dire ce que mon coeur éprouve, mais vous devez le comprendre.

Jamais je n’oublirai ce que vous faites pour moi et pour la mémoire de mon mari.» Quelques instants après madame de Lorimier, brisée par cette effort, tomba évanouie.

À trois heures il y eu séance littéraire et musicale donnée dans une vaste salle construite il y a quelque temps pour fêter le cinquantième anniversaire de la fondation du collège.

À l’ouverture de cette séance M.David lut l’adresse que M. Beaugrand venait de présenter à Mme de Lorimier.

Après cette lecture M. David adressa la parole, introduisit les personnes chargées de parler après lui, fit remarquer qu’il était chagrin de constater l’absence de MM. Mousseau, Mercier et Taillon. Cette remarque fut vivement approuvée par l’auditoire.

Après M. David vint M. Beaugrand qui fut vivement applaudi.

Ensuite M. Fréchette récita sa poésie Notre Histoire, qui enleva l’auditoire.

M. le maire de Montréal et M. le Dr Fortier de Ste Scholastique parlèrent aussi, et les remarques qu’ils firent furent très bien accueillies.

M. David parla de nouveau et fut souvent interrompu par les acclamations, et lorsqu’il raconta les derniers moments de l’infortuné de Lorimier, bien des larmes ont coulé.

Après les discours, Mlle Pelletier, déjà si avantageusement connue du public de Montréal, chanta l’air des Bijoux de Faust qui lui valut un chaleureux rappel.

M. St Pierre chanta une chanson composée pour la circonstance par M. Fréchette, qui eut beaucoup d’effet.

Il fut suivi par M. Desève qui joua les Variations du Carnaval de Venise avec le talent qu’on lui connait.

Les excursionnistes quittèrent l’Assomption vers 6 heures, enchantés de leur séjour au village, et salués par les vivats de la foule.

Le retour eut lieu à 10 heures.

Tout au long du trajet la musique de l’Harmonie a charmé les voyageurs, et les romances et les chansonnettes au salon du vapeur n’ont pas fait trève un instant.

Il est de notre devoir de faire remarquer que le corps de musique a donné son concours à cette fête gratuitement.

Cette excursion est la plus belle de la saison, et la plus importante par son caractère essentiellement patriotique que vous verrons d’ici à longtemps.

M. Chevalier mérite les plus grands éloges pour le zèle qu’il a déployé pour organiser l’excursion d’hier.

N. B. - La Minerve fait erreur en disant que Thomas Chevalier de Lorimier exerçait la profession de notaire à L’Assomption. C’était à Montréal qu’elle aurait dû dire.

Elle fait aussi erreur à propos des exécutions qui eurent lieu lors de la rébellion.

Il y eut des exécutions en 1839, le 18 janvier et le 15 février.

La Patrie, lundi 16 juillet 1883, page 3.



CAUSERIE

Dimanche matin le vapeur Terrebonne tout pavoisé laissait le quai de la compagnie Richelieu aux accords d’une fanfare guerrière.

Une foule de touristes couvrait le pont, le salon et la dunette du bateau, les toilettes jetaient des rayonnements, et les femmes, éblouissantes de grâce, gazouillaient, et leur rire sonore, argentin, éclatait en tous sens comme des trilles d’oiseau.

Le ciel était radieux, la brise pleine de parfums, de chants et de murmures, et le Saint-Laurent, enivré de l’effluve matinal, allongeait sa vague brodée d’écume.

Il y avait de la joie sur tous les visages.

Pourquoi cette joie?

Parce que les promeneurs allaient accomplir une noble action, réparer l’ingratitude de tout un peuple, donner à la veuve d’un martyr de la liberté un peu d’or et de gloire pour essayer de la consoler de quatre-quatre années de deuil, de souffrance et d’humiliation.

Parmi tant de voyageurs il y en avait un surtout qui jouissait beaucoup. C’était M. L. O. David, de La Tribune, celui dont le nom est désormais uni à ceux des héros de 1837-38, dont la parole et le zèle ont réchauffé les coeurs, ont fait que les Canadiens se sont souvenu qu’à quelque distance de Montréal la femme et les filles d’un héros vivaient dans la gêne et l’oubli. M. David était heureux, car il avait rencontré des hommes dévoués qui lui avaient aidé dans son oeuvre philanthropique, car à son côté M. Beaugrand tenait en porte-feuille la somme de mille dollars, le produit de diverses contributions, qu’il allait, dans un instant, remettre à la veuve de Thomas Chevalier de Lorimier.

Quand le vapeur toucha le quai de L’Assomption, une foule immense accourue sur le rivage salua chaleureusement les visiteurs, et des salves de mousqueterie éclatèrent dans l’espace.

À ce moment, l’immortel Thomas Chevalier de Lorimier dut tressaillir dans sa tombe, quand l’écho répéta de ravins en ravins les applaudissements de ceux qui manifestaient leur reconnaissance aux excursionnistes venus lui prouver que son testament politique était enfin exécuté, que le Canada ne voulait pas que sa femme et ses enfants furent abandonnés en proie à la misère.

Les Montréalais purent assister à la messe, et lorsque les sons si graves et si touchants de l’orgue firent tressaillir la pieuse enceinte, tous les fidèles étaient visiblement émus, et sans doute plus d’une femme demanda alors au divin crucifié le repas de l’âme de ce fou sublime qui expia sur le gibet le crime d’avoir trop aimé son pays.

Dans l’après-midi les membres du comité de la souscription de Lorimier, dont M. David était le président, allèrent offrir à Madame de Lorimier le don qu’on lui destinait, accompagné d’une adresse que tous les journaux ont déjà publiée.

Je vivrais cent ans, que je n’oublierais pas la scène poignante qui se passa alors, et quand M. Beaugrand eut fini de lire l’adresse, tous ceux qui l’entouraient pleuraient à chaudes larmes.

Madame de Lorimier fit un effort pour remercier ses bienfaiteurs, mais cet effort la brisa, et, quelques instants après, elle s’évanouissait.

La lecture de l’adresse terminée, il y eut une séance musicale et litéraire à laquelle prirent part M. M. David, Beaugrand, Archambault, Fréchette, St-Pierre, Desève, madame St-Pierre et mademoiselle Pelletier. Après qu’on a mis de pareils noms sous les yeux du public il est parfaitement oiseux de parler du résultat de cette séance.

La journée de dimanche a été splendide, la démonstration si importante, qu’elle aura un retentissement extraordinaire par tout le Canada. Elle a eu un triple but: de donner du soulagement à une famille pauvre, d’honorer la mémoire d’un patriote, de faire voir à la génération la récompense réservée à ceux qui se dévouent pour les saintes causes; et comme le temps ne fait parfois que donner de l’éclat aux choses véritablement grandes, ceux qui vivront dans un quart de siècle, en parlant de cette démonstration, diront avec orgueil:

- J’étais là!

La Patrie, mardi 17 juillet 1883, page 2.



Entrée dans le dictionnaire Biographique du Canada en ligne

Ce dictionnaire est trouvé
ICI

LORIMIER, CHEVALIER DE (baptisé François-Marie-Thomas, il reçut par la suite, semble-t-il, de son oncle et parrain, François-Chevalier de Lorimier, le prénom de Chevalier; on le désignait généralement sous le nom de François-Marie-Thomas-Chevalier de Lorimier, mais il signa toujours Chevalier de Lorimier), notaire et patriote, né le 27 décembre 1803 à Saint-Cuthbert, Bas-Canada, troisième des dix enfants de Guillaume-Verneuil de Lorimier, agriculteur, et de Marguerite-Adélaïde Perrault; décédé le 15 février 1839 à Montréal.

Chevalier de Lorimier descendait d’une vieille famille de nobles français qui étaient restés en Nouvelle-France après la Conquête et que le déclin de leur classe amena à s’intégrer à la nouvelle bourgeoisie canadienne ascendante au XIXe siècle. On ne sait quand exactement ses parents vinrent s’établir à Montréal mais, chose certaine, en 1813, le jeune Chevalier commençait ses études classiques au petit séminaire de cette ville. À la fin de son cours en 1820, il ne devait pas encore être fixé sur le choix d’une profession, car ce n’est que trois ans plus tard qu’il amorça son stage de clerc sous la direction de Pierre Ritchot, notaire de Montréal ; durant cette période, il se lia d’amitié avec son patron.

Dans son testament politique, Lorimier a écrit que dès 1821 ou 1822, à l’âge de 17 ou 18 ans, il prit une part active à la politique. Idéaliste, épris de liberté et acquis d’emblée à la cause nationale, il faisait partie du groupe des jeunes gens qui s’engagèrent très tôt dans les luttes que Louis-Joseph Papineau* et ses partisans livrèrent au gouverneur, lord Dalhousie [Ramsay], et aux Conseils exécutif et législatif du Bas-Canada. Il est à peu près sûr qu’en 1822 Lorimier participa à la vaste campagne de protestation organisée contre le projet d’union du Bas et du Haut-Canada [V. Denis-Benjamin Viger*]. En décembre 1827, au moment où le conflit entre Dalhousie et la chambre d’Assemblée était entré dans une phase de tension aiguë, il signa une pétition des habitants du comté de Montréal, à George IV, roi de Grande-Bretagne et d’Irlande; entre autres choses, cette pétition condamnait la conduite «arbitraire et despotique» de Dalhousie et demandait son rappel, dénonçait le cumul des charges publiques par un petit groupe de privilégiés et réclamait une représentation proportionnelle à l’augmentation de la population bas-canadienne.

Admis au notariat le 25 août 1829, Lorimier passa son premier acte le 6 septembre suivant. Quelque 15 jours plus tard, il installait son étude dans une maison du faubourg Saint-Antoine, située vraisemblablement non loin de la maison où ses parents demeuraient depuis au moins 1819. Il s’associa par la suite à son ancien patron et ami Ritchot. À la mort de celui-ci en 1831, en signe de reconnaissance et d’amitié, il dressa l’inventaire de ses biens. Le 10 janvier 1832, Lorimier épousa à Montréal Henriette Cadieux, fille aînée de feu Jean-Marie Cadieux, notaire. À la suite de son mariage, il s’établit rue Saint-Jacques, dans une maison dont sa femme avait hérité à la mort de son père, et il y déménagea aussi son étude. De leur union naquirent cinq enfants, quatre filles et un fils; ce dernier et deux filles moururent en bas âge. Grâce à son intelligence, à sa grande intégrité et à son assiduité au travail, Lorimier se fit une bonne clientèle. Une analyse de son minutier révèle qu’il recrutait ses clients surtout parmi les membres des professions libérales, les petits marchands, les artisans ainsi que les cultivateurs canadiens de la ville et de l’île de Montréal; il rédigea notamment pour Gabriel Franchère*, agent principal à Montréal de l’American Fur Company, un grand nombre d’engagements entre 1832 et 1837.

Son activité de notaire et son zèle politique firent bientôt de Lorimier un membre influent de la petite bourgeoisie professionnelle montréalaise et une personnalité proche du groupe des dirigeants patriotes. À l’élection partielle tenue dans la circonscription de Montréal-Ouest en 1832, il se révéla l’un des plus ardents partisans de Daniel Tracey*, éditeur du Vindicator and Canadian Advertiser de Montréal, qu’on avait emprisonné pour diffamation envers le Conseil législatif; il contribua dans une large mesure à le faire élire député à la chambre d’Assemblée. À la fin de cette élection, Lorimier faillit cependant être blessé au cours de l’émeute du 21 mai, marquée par la mort de trois Canadiens, lorsqu’une balle tirée par un soldat du 15th Foot brisa le manche de son parapluie. Aux élections générales de 1834, il prit une part très active à la campagne du parti patriote et soutint les candidats favorables aux Quatre-vingt-douze Résolutions. Deux ans plus tard, il s’empressa de participer à la souscription qu’avait lancée Édouard-Raymond Fabre* dans le but d’indemniser le directeur de la Minerve, Ludger Duvernay*, de son emprisonnement pour outrage au tribunal.

Comme la plupart des partisans de Papineau, Lorimier s’insurgea contre l’adoption par le Parlement de Londres en mars 1837 des résolutions de lord John Russell, qui rejetaient catégoriquement les demandes de réforme du parti patriote et consacraient la mainmise de l’exécutif provincial sur le trésor public du Bas-Canada. C’est pourquoi il se lança dans le mouvement de résistance organisé dès avril par les chefs patriotes et assista à presque toutes les grandes assemblées de protestation de la région de Montréal qui précédèrent les insurrections. Ainsi, le 15 mai, on le nomma secrétaire de l’assemblée du comté de Montréal, tenue à Saint-Laurent, dans l’île de Montréal. Au cours de cette assemblée, on mit sur pied un comité central de résistance – le Comité central et permanent du district de Montréal – et Lorimier et George-Étienne Cartier* furent choisis comme cosecrétaires ; ce comité devait se réunir chaque semaine à la librairie de Fabre, rue Saint-Vincent, et aurait pour tâche de «veiller aux intérêts politiques de ce comté [Montréal]» et de «correspondre [coordonner la résistance] avec les [comités des] autres comtés [de la province] ». Le 29 juin, Lorimier agit également à titre de secrétaire de l’assemblée de la ville de Montréal où les participants protestèrent solennellement contre l’application des résolutions Russell qui «annihilaient les droits constitutionnels de la province». Le 23 octobre, il se fit un point d’honneur d’assister, avec un grand nombre de patriotes montréalais en vue, à l’assemblée des six comtés qui eut lieu à Saint-Charles-sur-Richelieu. Encore présent à l’assemblée des Fils de la liberté, tenue le 6 novembre à Montréal, il fut atteint par une balle à la cuisse au cours de l’échauffourée qui éclata entre les membres de cette association et ceux du Doric Club et qui aboutit au saccage des bureaux du Vindicator.

Avant que le gouverneur, lord Gosford [Acheson], ne lance les mandats d’arrestation contre les chefs patriotes, Lorimier quitta précipitamment Montréal le 14 ou le 15 novembre 1837, en laissant derrière lui femme, enfants, propriété et clientèle, et se dirigea vers le comté de Deux-Montagnes. Arrivé dans ce comté le 15 novembre, il fut nommé peu après capitaine dans le bataillon de milice de l’endroit et reçut l’ordre d’aller à Saint-Eustache se placer sous le commandement de Jean-Olivier Chénier. Durant le mois qui suivit, il joua un rôle important auprès de Chénier et d’Amury Girod dans la préparation de la lutte armée dans la région. Le 14 décembre, il assista à la bataille de Saint-Eustache, mais devant l’inutilité des efforts pour repousser les troupes de sir John Colborne*, supérieures en nombre, il conseilla en vain à Chénier et à ses partisans de déposer les armes. Au moment où les combats faisaient rage, il se réfugia, pendant qu’il en était encore temps, dans le village voisin de Saint-Benoît (Mirabel). De là, avec quelques compagnons il gagna Trois-Rivières, traversa le Saint-Laurent et parcourut les Cantons-de-l’Est pour finalement entrer aux États-Unis.

Peu après son arrivée en terre américaine, Lorimier passa par Montpelier, dans le Vermont, puis par Middlebury où, le 2 janvier 1838, il était du groupe des patriotes, notamment Papineau, Robert Nelson*, Edmund Bailey O’Callaghan*, Cyrille-Hector-Octave Côté, Édouard-Élisée Malhiot*, Édouard-Étienne Rodier, le curé Étienne Chartier* et Lucien Gagnon, qui s’étaient donné rendez-vous pour discuter de la possibilité d’une nouvelle insurrection. Il est très vraisemblable que l’attitude temporisatrice et hésitante de Papineau au cours de cette rencontre ait déçu Lorimier dans ses attentes. Une semaine plus tard, il assista à l’assemblée de Swanton. À cette réunion, il se rallia sans doute aux vues de Nelson et de Côté et au plan d’invasion du Bas-Canada que ceux-ci projetaient de mettre de l’avant. Après que Nelson eut pris la tête de l’armée patriote et eut commencé à préparer l’invasion, Lorimier alla le rejoindre à Plattsburgh, dans l’état de New York. Le 28 février, il servit comme capitaine dans l’armée qui franchit la frontière. Il était aux côtés de Nelson lorsque celui-ci lut la déclaration d’indépendance du Bas-Canada. Le manque d’organisation et de préparation et les fuites de renseignements firent avorter cette expédition. Revenu aux États-Unis, Lorimier fut incarcéré avec d’autres pour avoir violé la neutralité américaine. Cependant, un jury favorable à la cause patriote l’acquitta rapidement.

Dès les premiers mois de son exil, Lorimier connut une existence difficile. Il avait cessé à toutes fins utiles d’exercer sa profession et, de ce fait, se retrouvait sans travail et sans argent. Également sans nouvelles de sa famille, il se rongeait d’inquiétude à la pensée qu’il avait laissé celle-ci à Montréal sans aucun moyen de subsistance. Au lieu de se laisser décourager par ses problèmes personnels et par l’échec de février 1838, il décida de se vouer à la réorganisation du mouvement insurrectionnel. À partir de mars, selon toute vraisemblance, Lorimier aurait pris une part active à la mise sur pied de l’Association des frères-chasseurs, à laquelle il n’a pas dû tarder à adhérer ; dans l’esprit de Nelson et de ses collaborateurs, cette société secrète et paramilitaire aurait pour but de soutenir l’armée patriote par un soulèvement à l’intérieur du Bas-Canada une fois lancée une offensive depuis la frontière américaine. En mai, Henriette Cadieux vint rejoindre son mari à Plattsburgh où elle vécut avec lui jusqu’en août; il est permis de penser que ce séjour dut entraîner de graves tiraillements chez Lorimier entre ses obligations familiales et son engagement révolutionnaire. Cet été-là, il ne rentra pas moins plusieurs fois au Bas-Canada avec mission de recruter des membres pour l’association et de préparer le soulèvement dans les comtés de Deux-Montagnes et de Beauharnois. Fort des promesses de Nelson et de Côté, il assurait aux adhérents qu’une armée encouragée par le gouvernement américain leur apporterait son appui et les armes et les munitions dont ils avaient besoin. De retour à Plattsburgh d’un de ses voyages, en juillet, il s’ouvrait dans une lettre à un ami des sentiments profonds qui l’animaient, à quelques mois de la nouvelle insurrection: «Quant à moi, je suis toujours prêt de verser mon sang sur le sol qui m’a vu naître, afin d’abattre le sommet, les branches, les racines, &c. de l’infâme gouvernement Anglais.»

Il est difficile de déterminer avec précision le rôle que Lorimier aurait joué dans le déclenchement de la seconde insurrection, dans la nuit du 3 au 4 novembre 1838. Laurent-Olivier David* s’est contenté de dire que Lorimier se trouvait à Beauharnois lorsque les patriotes de l’endroit s’emparèrent du manoir seigneurial d’Edward Ellice* et arraisonnèrent le navire à vapeur Henry Brougham. L’auteur de la biographie parue dans le North American de Swanton du 15 mai 1839 et un autre biographe, Hector Fabre*, ont affirmé pour leur part que Lorimier agissait en qualité de brigadier général de l’armée patriote au moment où ces événements se produisirent. Quant à François-Xavier Prieur, l’un des chefs du soulèvement de Beauharnois et marchand de Saint-Timothée, il a écrit que «de Lorimier n’avait jusque là pris aucune part active, du moins à [sa] connaissance». Ce qui est sûr, c’est qu’une fois le travail accompli, les patriotes de Beauharnois attendirent vainement les ordres de Nelson. Le 7 novembre, Lorimier et Prieur prirent la tête d’une troupe de 200 hommes pour apporter des renforts aux patriotes du camp Baker, à Sainte-Martine, menacés par l’approche d’un régiment d’infanterie. Un autre chef du soulèvement, Jean-Baptiste Brien, médecin de Sainte-Martine, révéla dans une déclaration faite aux autorités deux jours après son emprisonnement, le 18 novembre, que «de Lorimier [...] encourage[a] [alors] les gens à tenir bon [à ne pas abandonner la lutte]». Le 9 novembre, après que les patriotes du camp Baker eurent repoussé une attaque d’un détachement du 71st Foot, Lorimier adressa de vifs reproches au commandant James Perrigo, marchand de Sainte-Martine, pour avoir dissuadé ses compagnons de se mettre à la poursuite des soldats en fuite. Quelques heures après la fin des combats, les patriotes de Beauharnois apprirent la nouvelle de la défaite de Nelson à Odelltown. Le lendemain, ils se dispersèrent avant l’arrivée de deux bataillons de milice du Haut-Canada. Les plus compromis tentèrent, sous la conduite de Lorimier, de se réfugier aux États-Unis mais celui-ci, pris sous le feu d’un corps de volontaires, s’égara dans la nuit et fut arrêté près de la frontière le 12 novembre au matin. Conduit à pied à la prison de Napierville, il fut transféré le 22 ou le 23 novembre à la prison de Montréal.

Le 11 janvier 1839, Lorimier comparut avec 11 compagnons devant le conseil de guerre que présidait le major général John Clitherow*. Peu après l’ouverture de la cour, on exclut Perrigo du procès. Les accusés se firent représenter par les avocats Lewis Thomas Drummond* et Aaron Philip Hart. Ceux-ci eurent seulement le droit de préparer des plaidoyers écrits pour leurs clients. Après consultation avec ses procureurs, Lorimier déposa d’entrée de jeu un protêt récusant la juridiction du conseil de guerre et réclama un procès devant un tribunal civil. Il fut débouté de sa prétention. Le procès se déroula dans un climat de violence. Lorimier se défendit avec acharnement, dans une salle remplie de bureaucrates assoiffés de sang. Il procéda aux contre-interrogatoires des témoins, les amena à se contredire et contesta toutes les preuves réunies contre lui. Mais c’était peine perdue. À l’insu de Lorimier, Brien, épouvanté par la perspective de l’échafaud, avait déjà signé, contre une promesse d’indulgence des autorités, sa déclaration dans laquelle il dénonçait en particulier son compagnon. Cette confession s’avéra plus préjudiciable à Lorimier que toutes les dépositions des témoins. Faute de n’avoir pu capturer les principaux chefs de la rébellion, les autorités se rabattirent sur celui qu’elles considéraient comme le personnage le plus en vue du groupe des rebelles de Beauharnois. Charles Dewey Day*, juge-avocat suppléant, s’en prit surtout à Lorimier qu’il dépeignit dans son adresse au conseil de guerre sous les traits d’un criminel très dangereux, qui avait fomenté la rébellion et qui méritait de mourir sur l’échafaud. À l’issue du procès, le 21 janvier, tous les accusés furent trouvés coupables de haute trahison; seul Lorimier ne bénéficiait pas d’une recommandation à la clémence de l’exécutif.

Drummond et Hart firent des démarches répétées auprès du gouverneur Colborne et des membres du Conseil spécial pour sauver la vie de Lorimier, mais en vain. Le 9 février 1839, ils tentèrent une manœuvre ultime en demandant une ordonnance de sursis contre le conseil de guerre. Malheureusement, la Cour du banc du roi rejeta cette requête. Le 14 février, Henriette Cadieux adressa de son côté une lettre à Colborne dans laquelle elle le suppliait de gracier son mari dont l’exécution avait été décidée le jour précédent. Colborne ne daigna même pas répondre à cette supplique.

C’est d’un pas ferme que Lorimier gravit les marches de l’échafaud en compagnie de Charles Hindenlang, d’Amable Daunais, de François Nicolas et de Pierre-Rémi Narbonne, le 15 février 1839, à neuf heures du matin. À la veille de son exécution, il avait rédigé son testament politique, dans lequel il exprimait l’espoir de voir son pays libéré un jour de la domination britannique et qu’il concluait par ces mots émouvants et pathétiques : «Quant à vous mes compatriotes ! Puisse mon exécution et celle de mes compagnons d’échaffaud vous être utiles. Puissent-elles vous démontrer ce que vous devez attendre du gouvernement Anglais. Je n’ai plus que quelques heures à vivre, mais j’ai voulu partager ce tems précieux entre mes devoirs religieux et ceux [dûs] à mes compatriotes. Pour eux, je meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants, de mon épouse, sans autre appui que mon industrie et pour eux je meurs en m’écriant – Vive la Liberté, Vive l’Indépendance.» On enterra le corps de Lorimier dans une fosse de l’ancien cimetière catholique de Montréal, là où se trouve aujourd’hui le square Dominion. Après la mort de son mari, Henriette Cadieux, incapable de payer les dettes contractées par Lorimier, dut renoncer à sa succession. En 1858, on aurait procédé à l’exhumation des cendres du patriote qui furent transportées fort probablement au monument aux morts dédié aux victimes de 1837–1838, dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

En 1883, le journaliste Laurent-Olivier David organisa une souscription publique en faveur d’Henriette Cadieux et de ses deux filles, qui vivaient pauvrement à L’Assomption. Avec l’aide d’Honoré Beaugrand*, éditeur de la Patrie, et de l’écrivain Louis-Honoré Fréchette*, il réussit à recueillir 1 300 $, dont 1 000 $ furent versés à la veuve de Lorimier en guise de réparation nationale. La même année, par un juste retour des choses, le conseil municipal de la ville de Montréal adopta une résolution qui changea le nom de l’avenue Colborne en celui d’avenue de Lorimier. D’après le North American, Lorimier était plutôt de taille moyenne, il avait le teint brun, les cheveux et les yeux noirs. À cette description s’ajoute celle que David avait faite dans son article sur Lorimier, publié dans l’Opinion publique du mois de mars 1881: «[le visage de Lorimier] était ovale, [...] ses traits réguliers; il avait le front haut, la figure douce et intelligente. On avait l’idée, en le voyant, d’un homme de cœur et d’imagination, d’un esprit distingué.»

Qu’un personnage comme Chevalier de Lorimier ait suscité des perceptions très différentes dans l’historiographie n’est guère surprenant. Il est cependant un point sur lequel ses biographes et les historiens sont d’accord: la sincérité de ses convictions. L’historien Pascal Potvin a condamné l’aveuglement de certains chefs de l’insurrection de 1838, mais il a dû reconnaître la sincérité de Lorimier. Pour leur part, le biographe du North American et David ont soutenu que Lorimier était l’un des patriotes les plus convaincus du succès du mouvement insurrectionnel. Fidèle à lui-même, il s’était acquitté de la mission qu’on lui avait confiée: les patriotes de Beauharnois remplirent leur partie du plan d’invasion et ils formèrent ensuite l’un des derniers groupes d’insurgés à avoir résisté à l’armée britannique. Le seul tort de Lorimier serait d’avoir trop fait confiance à Nelson et à Côté – mais aurait-il pu faire autrement dans les circonstances? – quant à la préparation et au déroulement du soulèvement et d’avoir cru aux promesses de soutien des Américains. Son plus grand mérite est d’être allé jusqu’au bout de son idéal politique et de son engagement révolutionnaire, au prix de sa propre vie. Il reste que Lorimier est passé à l’histoire comme un grand patriote et comme un martyr de la cause indépendantiste bas-canadienne.


Michel de Lorimier

Le minutier de Chevalier de Lorimier, contenant des actes passés entre 1829 et 1838, est conservé aux ANQ-M, sous la cote CN1-122.

Lorimier a de plus laissé une intéressante correspondance qui comprend plusieurs lettres écrites pour la plupart durant son séjour à la prison de Montréal et adressées à sa femme, à ses parents et à des amis. Les originaux et les copies de ces lettres sont disséminés dans différents dépôts d’archives, entre autres: aux ANQ-M, P-224/1, no 78; aux ANQ-Q, E17/37, no 2972; P1000-8-124; P1000-49-976; P1000-66-1317; et P1000-87-1806; aux ASQ, Fonds Viger-Verreau, carton 67, no 6; aux ASTR, dans les papiers Wolfred Nelson, qui font partie de la collection Montarville Boucher de la Bruère (0032); à la BVM-G, mss, Lorimier à [L.-A.] Robitaille, 12 févr. 1839; et au musée David MacDonald Stewart (Montréal), Album lady La Fontaine, Lorimier à [lady La Fontaine (Adèle Berthelot)], 15 févr. 1839. Parmi cette correspondance se trouve également le testament politique que Lorimier a rédigé à la veille de son exécution; ce document est déposé aux ANQ-Q, sous la cote E17/37, no 2971 (copies sous les cotes P1000-49-976 et P1000-66-1317).

Cette correspondance a été reproduite dans plusieurs journaux, ouvrages de référence, études et périodiques. Journal des sympathisants américains à la cause patriote, le North American a publié la plupart des lettres de Lorimier dans ses éditions des 15 mai, 7 août, 6 nov. 1839, 22 janv., 24 juin et 25 juill. 1840; l’édition du 22 janv. 1840 contient une lettre particulièrement éclairante sur ses dispositions au moment de la préparation de la seconde insurrection en juillet 1838. À la même époque, le Patriote canadien (Burlington, Vt.), organe des patriotes canadiens réfugiés aux États-Unis, dirigé par Ludger Duvernay, a aussi fait paraître quelques-unes de ces lettres dans son numéro du 13 nov. 1839. Moins de dix ans plus tard, le littérateur James Huston* publia l’ensemble des lettres de Lorimier dans le Répertoire national (1848–1850), 2: 97–108. Puis, vers la fin du XIXe siècle, Laurent-Olivier David publia à son tour cette correspondance dans le cadre de son article intitulé «les Hommes de 37–38 : de Lorimier», paru dans l’Opinion publique, 10 févr. 1881: 61–62; 3 mars 1881: 97; 10 mars 1881: 109–110; David reprit cet article dans Patriotes, 237–263. Enfin, au XXe siècle, certains éléments de la correspondance de Lorimier ont été publiés, à savoir : «Testament politique de Chevalier de Lorimier (14 février 1839)» et «Lettre du patriote Chevalier de Lorimier à sa femme (15 février 1839)», ANQ Rapport, 1924–1925: 1, 32; «Lettre de Chevalier de Lorimier à Pierre Beaudry (14 février 1839)», 1926–1927: 145; et «Lettre du Chevalier de Lorimier au baron de Fratelin (15 février 1839)», BRH, 47 (1941): 20.

Un portrait au crayon de Lorimier, attribué à Jean-Joseph Girouard*, se trouve dans l’album de lady La Fontaine, au musée David MacDonald Stewart.

ANQ-M, CC1, 23 avril 1839; CE1-51, 10 janv. 1832; CE5-19, 27 déc. 1803; CN1-32, 10–13 mai, 20 juin 1839; CN1-270, 3 sept. 1823, 9 janv. 1832.— ANQ-Q, E17/6, no 7; E17/14, no 793; E17/27, nos 2027–2030; E17/28, nos 2031, 2047, 2051, 2058–2060, 2062–2063, 2075; E17/37, no 2968, 2973; E17/39, no 3116; P-68/3, no 313; P-68/4, no 429; P-68/5, no 559; P-92.— APC, MG 24, A2, 50; A27, 34; B2, 17–21; B39; RG 4, B8: 2908–2918; B20, 28: 11218–11219, 11256–11259, 11297–11300; RG 31, C1, 1825, 1831, Montréal.— Arch. de la ville de Montréal, Doc. administratifs, Procès-verbaux du conseil municipal, 27 juin 1883.— BVM-G, Fonds, Ægidius Fauteux, notes compilées par Ægidius Fauteux sur les patriotes de 1837–1838 dont les noms commencent par la lettre L, carton 6.— Musée David MacDonald Stewart, Pétition, janv. 1828.— [Henriette Cadieux], «Lettre de la veuve du patriote de Lorimier au baron Fratelin», BRH, 46 (1940) : 372–373.— Amury Girod, «Journal tenu par feu Amury Girod et traduit de l’allemand et de l’italien», APC Rapport, 1923: 408–419. — «Papiers Duvernay», Canadian Antiquarian and Numismatic Journal, 3e sér., 6: 6–7, 9–10; 7: 20–23, 25–26, 184–185.— L.-J.-A. 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Jacques Beaulieu
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