Après vingt années passées en des pays
très divers, Simone Aubry-Beaulieu renouait dernièrement avec le
Canada par une exposition de dessins à la Galerie de Montréal.
Malgré sa longue absence, entrecoupée de séjours à Percé, Simone
Aubry-Beaulieu n'est pas ici une inconnue dans le domaine des arts
plastiques. Ayant étudié pendant quatre ans à l'École des Beaux-Arts
de Montréal, elle obtenait en 1949 le Prix de la Province de Québec,
exposant à la même époque au Cercle Universitaire de la rue Sherbrooke,
à Montréal.
Si son mariage avec le diplomate Paul Beaulieu fut à
l'origine de ses nombreux voyages, il ne contraria en rien sa
vocation première, et c'est avec une ferveur jamais démentie que
Simone Aubry-Beaulieu s'adonne à son métier.
Elle avait rencontré Fernand Léger à New-York durant la guerre.
Elle le retrouve à Paris en 1946, où elle fréquente son atelier.
À Paris encore, elle fait la connaissance d'André Marchand, avec
qui elle travaille et auquel une amitié de trente années la lie.
Et il lui arrive parfois d'aller jusqu'à Varengeville, où Braque
l'accueille et la conseille.
Après Paris, ce fut Londres; elle
connut ensuite Boston, et Beyrouth, où elle demeura six ans,
commençant là-bas à aborder l'abstraction alors que la fascinait
le désert et les caractères arabes. Elle quitta le Moyen-Orient
pour le Brésil, où elle reçut le choc de la forêt tropicale, de sa
luxuriance, et de l'effervescence de la vie, toutes choses dont
ses dessins propagent l'onde. Il y eut New-York, et Paris de
nouveau, Lisbonne où elle reprit et développa des thèmes esquissés
au Brésil.
Lors d'un séjour à Washington, elle rencontra
Saint-John Perse, de qui Louise Varès traduisait les poèmes en
anglais, tandis qu'elle-même illustrait Le poème à l'étrangère
et faisait du poète plusieurs portraits, dont l'un devait paraître
dans le Saint-John Perse des Poètes d'aujourd'hui.
C'est d'ailleurs encouragée par Saint-John Perse que
Simone Aubry-Beaulieu allait s'adonner d'une façon assidue à la
poésie.
Comme il est plutôt rare aujourd'hui de voir une exposition
de dessins, je demande à Simone Aubry-Beaulieu si, chez elle,
l'oeuvre graphique prend véritablement le pas sur la peinture.
Il n'en est rien, lui semble-t-il, et elle pense que peinture et
graphisme peuvent être menés parallèlement en raison de la différence
profonde qui existe tant dans leur développement que dans la
manière de les approcher, encore que, bien sûr, le dessin reste
une discipline de rigueur dont bénéficie le tableau.
Comme elle a
besoin d'écrire, Simone Aubry-Beaulieu a besoin de dessiner quelques
heures chaque jour, à main levée, sur de grandes surfaces. De Matisse,
elle tient cette fascination du trait, admirant non moins le
Picasso du Peintre et son modèle. Ce qu'elle emploie? Le
goudron qu'un peu de térébenthine amène à la teinte sépia claire,
l'encre de chine... Ce qu'elle affectionne? Le noir d'ivoire utilisé
avec le pinceau ou avec la plume feutre.
- J'ai toujours eu une passion pour les dessins de Rembrandt, de
Delacroix, pour ceux de Modigliani, que j'ai pu contempler à Paris,
à la Galerie Katia Kranoff. Elle dit aussi:
- L'abstrait est une tentation, mais je me sens profondément
figurative, liée que je suis à cette mémoire qui choisit et qui
perpétue que le plus précieux de ce que l'on aime.
Face à la page blanche, elle aime cette émotion et ce tremblement
qui précèdent le geste, la trace par lui laissée et sur laquelle on
ne pourra plus revenir.
Bien entendu, elle voue aux peintres
japonais un véritable culte, à cause de la visée à l'essentiel, à
cause de la conjonction de la soudaine violence
et de l'extrême raffinement, à cause de la violence intérieure que
subjugue le cérémonial.
Il est vrai que d'un trait en même temps
maîtrisé et spontané Simone Aubry-Beaulieu sait faire vibrer la page où
la guide une secrète aimantation. Ce qui l'attire, c'est le foyer
sensible, d'où émane la vie charnelle et foissonnante qu'elle sait
faire palpiter à nos yeux, qu'il s'agisse des métisses de Rio, des
feuilles de flamboyants ou de noyers du Brésil
Son art n'est pas
baroque: généreux, il allie le jaillissement à la précision.
Sa force, Simone Aubry-Beaulieu ne la trouve pas dans le choix
volontaire, mais dans le goût profond de favoriser l'éclosion, comme
d'une fleur sylvestre, de ce qui est plus fort et plus enfoui que
la volonté.
Le noir, le blanc: et pourtant la couleur est là présente
grâce à cette pulsion vitale par quoi se manifeste la figure sur la
surface. Rien d'exotique, de naturaliste ou de réaliste: c'est
simplement la réalité mystérieuse et perpétuelle de la vie.
Noir et blanc: les deux seules couleurs, peut-être.
- N'est-ce pas avec le noir et le blanc que Borduas s'est
le mieux et le plus intensément exprimé?, demande Simone
Aubry-Beaulieu.
La loyauté préside à son ouvrage. Il y a chez Simone
Aubry-Beaulieu le sens de la voie et de la quête. Elle sait aussi
que la rigueur, au lieu de contraindre, exalte la source
où l'oeuvre sans cesse reprend naissance.
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Tulipes, 1971.
Huile sur papier;
132 cm x 91,4 cm.
Les Flamboyants, 1971.
Huile sur papier;
132 cm x 91,4 cm.
Grania, 1955.
Goudron sur papier;
132 cm x 91,4 cm.
Portrait de Grania, 1955.
Huile sur toile;
132 cm x 91,4 cm.
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